Apple Vision Pro : un échec qui en rappelle un autre
Par Nicolas Sabatier - Publié le
Personal Digital Assistant : PDA
Quand John Sculley présente le Newton en aout 1993, il est plus fatigué qu’excité. Le projet a pris beaucoup plus de temps que prévu : son développement a commencé en 1987 et a failli être annulé à de multiples reprises. Au départ, le Newton devait être une tablette tactile au format A4, rappelant grandement le concept Dynabook d’Alan Kay.
En 1992, John Sculley présente en grande pompe le concept de PDA : Personal Digital Assistant. Il enfonce le clou quand il estime que le marché des assistants numériques personnels (PDA) représenterait un chiffre d'affaires de 3 000 milliards de dollars d'ici la fin de la décennie. Cependant, dans les coulisses, rien n’est prêt. Que ce soit le matériel, le système d’exploitation ou le design. Le produit final n’a pas encore de nom (ils hésitent avec BrainAmplifier, KnowPad, PowerEnabler ou encore ZippyPad). Or, l’annonce fracassante du chiffre d’affaires monumental fait saliver la concurrence.
Le Newton : une révolution
Le Newton est annoncé quelques mois plus tard par la phrase :
Ce n’est pas un produit ou une technologie, c’est une révolution. La démo ravit le public même s’ils voient le Newton plus beau qu’il ne l’est. Du côté de la concurrence, c’est la panique et tout le monde se met à développer son propre PDA, pensant que c’est le prochain marché porteur. Avant même sa sortie, le Newton va avoir des concurrents produits par des mastodontes de l’industrie comme AT&T, Casio, Microsoft, Sony, Motorola et même General Magic.
Alors que la sortie du Newton devait être le sommet de la carrière de Sculley, elle marquera sa chute. En effet, il doit annoncer des pertes records et il lui est reproché de s’être trop occupé du Newton et pas assez d’Apple en général.
Même si le Newton est un produit impressionnant pour l’époque, il restera un échec économique. Malgré des révisions intéressantes comme le MessagePad 110 (premier produit designé par Jony Ive pour Apple) ou le MessagePad 2100 avec son grand écran et ses 4 Mo de RAM, il n’arrivera pas à trouver son marché.
PalmPilot : une autre approche
Cependant, la concurrence arrive à avoir du succès. Je pense, entre autres, aux PalmPilot. Beaucoup moins évolués que le Newton tant au niveau du matériel que du logiciel, ils ont l’avantage d’être moins cher, de l’ordre de deux fois moins. Pour démontrer la différence entre les deux approches, abordons la prise de notes. Sur le Newton, vous écrivez avec un stylet comme si vous le faisiez sur une feuille. Le système se met alors à reconnaitre votre écriture pour la transformer en document comme s’il était écrit avec un clavier. Quand cela marche, c’est magique. Par contre, quand cela ne marche pas, c’est très frustrant. Le Newton deviendra la risée du monde quand des BDs, et même les Simpsons, se moqueront de sa reconnaissance de caractères défaillante.
Sur le PalmPilot, c’est différent. Ces machines n’avaient pas assez de RAM et de puissance de CPU pour faire la même chose que le Newton. Palm a décidé de créer son propre système, appelé Graffiti, une sorte d’alphabet alternatif que les utilisateurs devaient apprendre par cœur pour écrire. Moins élégant que la solution mise en place par Apple, mais une fois appris, Graffiti est beaucoup plus efficace que le Newton.
Apple Vision Pro : le nouveau Newton ?
Et c’est ici qu’on peut faire le rapprochement avec l’Apple Vision Pro. Le casque de Cupertino est plus évolué que la concurrence, notamment celle des Meta Quest, que ce soit la qualité des matériaux, le nombre de capteurs, la résolution des écrans, etc. Néanmoins, la différence de prix est telle que le marché a choisi le Meta Quest 3S à moins de 400€ plutôt que l’Apple Vision Pro presque dix fois (!) plus cher. De la même manière que le marché avait choisi le PalmPilot deux fois moins cher que le Newton.
La concurrence de l’Apple Vision Pro répond à tous ses défauts : trop lourd, trop inconfortable, trop complexe à produire et avec une batterie externe à l’autonomie insuffisante. Défauts que l’on retrouvait à l’époque pour le Newton que n’avaient pas les PalmPilot.
Le Newton a été abandonné quand Steve Jobs est revenu prendre les commandes d’Apple à la fin des années 90, au grand dam des aficionados. En effet, les finances de la société étaient au plus mal et rien ne justifiait la dépense d’argent engendrée par le développement des différents Newton. De plus, le projet initial était le bébé de John Sculley, personne qui a mis Steve Jobs dehors en 1985. Nul doute que cela a dû faire pencher la balance, quand on sait à quel point le co-fondateur d’Apple pouvait être rancunier.
Une annulation pour une résurrection
Cependant, les idées derrière le Newton ne sont pas mortes avec lui. On pourrait dire que le Newton était une sorte de smartphone avant l’heure. En effet, il n’y avait pas vraiment de réseau cellulaire ni de Wifi/Bluetooth à l’époque. D’ailleurs, tous les concurrents qui ont continué le développement de leur PDA ont fait évoluer leurs produits pour en faire des smartphones. Par exemple, on peut penser à la ligne des Palm Treo qui sont des PalmPilot évolués associés à un téléphone.
Nous avons pu voir dans l’excellente série For All Mankind ce qu'aurait pu devenir le Newton s’il n’avait pas été annulé.
Dix ans après son annulation, on peut penser que le Newton se retrouve dans l’iPhone, sous une forme repensé et raffiné.
Nous pouvons ainsi imaginer un avenir à l’Apple Vision Pro similaire au Newton. Il pourrait être annulé par le prochain CEO d’Apple, ayant moins d’affects avec le projet. En effet, Tim Cook est plus proche de la fin de sa carrière que du début et l’Apple Vision Pro est un peu son projet fétiche, comme l’était le Newton pour John Sculley. De plus, le casque d’Apple a coûté très cher à développer, ne ramène pas beaucoup d’argent et ne semble pas bien suivi par Cupertino.
Comme l’a fait remarquer le développeur David Smith, Apple a produit en moyenne trois minutes de contenu par semaine pour son casque virtuel, si l’on compte ce qui était disponible à la sortie. Si on exclut ce contenu de départ, Apple a sorti en moyenne deux minutes de contenu immersif par semaine… Ce qui veut dire qu’actuellement, un nouvel acheteur de l’Apple Vision Pro peut faire le tour de tout le contenu exclusif produit par Apple en un peu plus de deux heures.
Pourquoi ne pas imaginer un Apple Vision Pro annulé et un casque ou des lunettes AR/VR différentes mais moins chères, mieux pensée qui pourrait alors trouver son marché ? Comme l’iPhone était un Newton totalement repensé pour l’ère des smartphones, des lunettes AR/VR dans 10 ans pourraient être une nouvelle interprétation de ce que fait l’Apple Vision Pro actuellement.