Pourquoi il est temps pour Tim Cook de quitter Apple : partie 3
Par Nicolas Sabatier - Publié le
Nous allons faire cet état des lieux en trois articles : un premier qui analyse comment Tim Cook a permis de développer considérablement Apple, un deuxième beaucoup plus critique sur son bilan et un troisième qui essaie d’anticiper qui pourrait le remplacer comme CEO.
Partie 3 : qui pour remplacer Tim Cook à la tête d'Apple
Nous avons vu à quel point Tim Cook a fait du bon travail en prenant la suite de Steve Jobs à sa mort. Nous avons ensuite abordé les limites de son profil et les erreurs qui ont parsemé son parcours. Il est donc temps aujourd’hui de se poser la question : qui pour remplacer Tim Cook à la tête d’Apple ?
Nous ne sommes pas les seuls à se poser la question : même Dua Lipa se la pose, et demande directement à Tim Cook. Il lui a d’ailleurs répondu qu’il n’est pas éternel et qu’il prépare lui-même sa succession, avec plusieurs personnes qu’il considère capables de le remplacer.
Quel profil ?
Avant de faire la liste des personnes qui pourraient prendre la tête d’Apple, il faut se poser la question de ce qu’on attend d’un nouveau CEO. La première des choses est d’avoir une personne relativement jeune. Quand je dis relativement, je pense à une personne qui a moins de 60 ans. Quand il a remplacé Steve Jobs, Tim Cook avait 51 ans. De même, quand Steve Jobs devient iCEO en 1997, il a 42 ans. Satya Nadella a 47 ans quand il prend les rennes de Microsoft, exactement le même âge que Sundar Pichai quand il accède au poste de CEO d’Alphabet (maison mère de Google).
Une recrue en interne
Ensuite, il me parait évident que le prochain CEO d’Apple doit être quelqu’un déjà présent en interne dans la société. La culture au sein de la société de Cupertino est tellement différente et importante, que je ne vois pas une personne issue directement de Microsoft, Adobe, Facebook ou Google à la tête de l’entreprise. Cependant, il y a eu beaucoup de transfuges entre les grandes sociétés informatiques. Nous avons l’exemple de Kevin Lynch, ancien CTO d’Adobe, défenseur de Flash, qui s’est publiquement pris le bec avec Steve Jobs, avant d’être débauché pour travailler sur l’Apple Watch. Kevin Lynch pourrait d’ailleurs très bien être sur la courte liste des personnes en position de remplacer Tim Cook.
Ou une recrue ex-interne
Une autre solution serait quelqu’un qui est passé par Apple mais qui est parti depuis. Je pense par exemple à Jony Ive ou encore à Angela Ahrendts même si, dans leurs cas précis, cela me semble impossible comme nous allons le voir. Jony Ive aime trop son travail de designer et Angela Ahrendts a l’air d'avoir pris du recul.
Un(e) ingénieur(e)
Outre l’origine du profil idéal, il faut aborder les compétences attendues. Évidemment, des compétences purement techniques seraient un plus. Je pense que pour ce genre d’entreprise très liée aux innovations technologiques, de bonnes bases techniques sont nécessaires. On ne peut imaginer, par exemple, un ministre de l’Économie ayant fait des études purement littéraires, sans aucun lien avec l’économie et qui écrit des livres érotiques pendant son temps de travail. Ce serait aller droit dans le mur…
Si nous regardons la concurrence, la plupart des CEO sont issus de poste à responsabilité technique : Satya Nadella est un ingénieur, comme Sundar Pichai. Un contre-exemple serait l’actuel CEO d’Amazon, Andy Jassy, qui lui a plus un profil classique de spécialiste du marketing avec un MBA d’Harvard. Ceci étant, il était à la tête de AWS pendant près de 15 ans avant d’accéder au poste de CEO, démontrant une certaine aisance dans le domaine technique. Espérons qu'un tel profil permettrait d'avoir des prix normaux concernant la RAM et les disques durs, disons moins que 10 fois celui du marché.
Une compréhension de la technologie permettrait au nouveau CEO de pouvoir parler d’égal à égal avec ses vice-présidents. Je n’ai aucun doute que la débâcle technique d’Apple au milieu des années 90 était, en partie, due à la méconnaissance technique de John Sculley, CEO de la marque de 1983 à 1993, dont le profil était un profil purement marketing.
Mais aussi un penchant pour la politique
Être CEO d’Apple, c’est comme être à la tête d’un État. Il faut avoir une bonne disposition pour la gestion politique de l’entreprise, en contact permanent avec le président des USA, l’UE, la Chine et le monde en général. D’autant plus que la pression augmente ses dernières années. Les attaques viennent de tous les côtés. L’UE a Apple dans son viseur et n’hésite pas à tirer à de multiples reprises (que ce soit pour les chargeurs, pour la DMA ou pour des questions d’optimisation fiscale). Les USA commencent aussi à regarder de près la position dominante d’Apple (et de manière générale des géants de l’informatique). Quant à la Chine, son durcissement politique orchestré par Xi Jinping se traduit aussi par des relations beaucoup plus tendues avec tout le monde, y compris Apple.
Il faut alors quelqu’un d’expérimenté qui saura naviguer les eaux troubles de la diplomatie internationale. Un penchant pour la politique est aussi déterminant pour gérer Apple en interne. Savoir encadrer les différents égos aux ambitions débordantes, pouvoir retenir les talents et en attirer d’autres : tout cela demande du tact, de l’expérience et de l’intelligence, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il est souvent omis que, parmi les qualités de Steve Jobs, une des plus importantes était sa capacité à séduire les plus grands talents et à les retenir au sein d’Apple.
Ajoutons à cela aussi la nécessité de pouvoir répondre aux menaces de la concurrence. De ce côté-là aussi, Apple est sous le feu nourri de ses adversaires. Que ce soit Meta, Google, Microsoft ou encore OpenAI, le prochain CEO devra pouvoir piloter l’entreprise tout en répondant à la compétition. Les relations entre les grands CEO ressemblent à s’y méprendre aux relations entre chefs d’État : il faut de la diplomatie, de la coopération et parfois savoir être agressif. Et surtout, avoir la sagesse de reconnaître dans quelle situation être diplomate… et ne pas l’être.
La liste des possibles candidats
Jony Ive
Je vais commencer par exclure des personnalités qui sont souvent citées mais dont la nomination me semble peu probable. Commençons par Jony Ive, le designer de légende qui a quitté Apple en 2019. Il fait souvent partie de la liste des candidats au poste de CEO d’Apple, même à l’époque où Steve Jobs était encore en vie. Cependant, je ne le vois pas revenir chez Apple, d’autant plus qu’il semble assez satisfait de sa vie actuellement au sein de Love From. Il a toujours dit que seul le design l’intéressait et que tout le reste, notamment le côté managérial et politique, l'ennuyait. Nous l’avons aussi senti bien fatigué quand il a annoncé son départ d’Apple.
Angela Ahrendts
De même, quand Angela Ahrendts a été recrutée en 2013 pour s’occuper des Apple Store, certains la présentaient comme une éventuelle successeure à Tim Cook. En effet, il est très rare qu’un CEO d’une grande marque, comme Burberry dans ce cas, accepte d’aller dans une autre entreprise en n’étant pas CEO. Les rumeurs parlaient d’un éventuel deal pour prendre la succession de Tim Cook. Cela ne s’est pas fait et elle a quitté Apple en 2019. Angela Ahrendts a actuellement 64 ans et semble plutôt intéressée par son activité de membre de conseils d’administration que par une nouvelle aventure.
Scott Forstall
Bien qu’il ait été mis dehors par Tim Cook lui-même, Forstall reste un candidat sérieux. N’oublions pas, par exemple, qu’il n’a que 55 ans. Avant son départ, il était considéré comme le mini-Steve Jobs et comme le plus à même de le succéder. Cependant, son caractère et sa façon de faire lui ont valu beaucoup d’inimitiés au sein de la société. Mais avec les départs de Ive et de Fadell, qui le détestaient, son retour pourrait être possible, même s’il est difficile à envisager.
Phil Schiller
Qui se souvient de la cascade de Phil Schiller pour démontrer le transfert de données sans fil grâce au tout nouveau Wi-Fi de l’iBook ?
Lui aussi était souvent nommé comme possible successeur à Steve Jobs. Cela grâce à son rôle majeur dans le marketing et à sa proximité avec Steve Jobs. Cependant, il semble s'éloigner peu à peu de son rôle actif au sein d'Apple, devenant Apple Fellow en 2020 et laissant sa place comme responsable du marketing à Greg Joswiak. Rappelons qu'il a 64 ans... Cependant, cela ne l’empêche de prendre le manche d’un avion de temps en temps.
Greg Joswiak
D’ailleurs, abordons le cas de Greg Joswiak, aussi appelé Joz. En prenant la place de Phil Schiller, il devient l’une des personnes les plus en vue au sein d’Apple. Et puis, il est chez Apple depuis 1986, s’il y a quelqu'un qui connait bien l’entreprise, c’est lui. Il a fait des études en informatique et est spécialisé depuis dans le marketing. Un profil donc idéal pour prendre la tête de la société de Cupertino. Néanmoins, il a déjà 61 ans et lui aussi est plus vers la fin de sa carrière qu’au début.
Craig Federighi
Ce qui n’est pas le cas de Federighi, aussi appelé Hair Force One à cause de sa fabuleuse chevelure. Il a 55 ans et est devenu au fur et à mesure des années une des personnalités les plus connues d’Apple par les fans, et peut-être le plus apprécié grâce à son humour que l’on aperçoit dans les différentes keynotes. Il a eu la tâche ardue de remplacer Bertrand Serlet et a pris du galon avec le départ de Scott Forstall. Ces nombreuses apparitions lors des keynotes avec des prestations énergiques et inventives, offrant un contraste saisissant avec le style plus mesuré, voire un peu chiant, de Tim Cook. Peut-être que le conseil d’administration pourrait penser qu’un CEO plus charismatique et dynamique serait une bonne idée. Ses interviews sont souvent intéressantes et elles laissent paraître sa grande compréhension du rôle qu’a la technologie sur le monde en général. Il fait pour moi partie des prétendants sérieux.
Eddie Cue
Eddie Cue a tout pour lui : il est chez Apple depuis 1989, il a gravi les échelons petit à petit. Il était simple technicien puis il a géré la mise en place du site de vente des ordinateurs Apple à la fin des années 90 avant de devenir l’une des personnalités les plus importantes d’Apple. Il chapeaute tout ce qui touche aux services d’Apple, c’est dire à quel point il est fondamental pour le succès de Cupertino. Son seul défaut est son âge : il a 60 ans. Il aurait dix ans de moins, il serait le candidat idéal.
Jeff Williams
Certains présentent Jeff Williams comme le clone de Tim Cook. Comme lui, il est spécialisé dans les opérations, c'est-à-dire tout ce qui touche à la logistique et la gestion de stock. Si tous les produits Apple sont toujours disponibles, même suite à la pandémie, c’est grâce à lui. Et ce n’est pas une mince affaire quand les ventes d’iPhone se comptent en centaines de millions par an. Il est depuis 2015 le COO d’Apple, rôle qu’avait Tim Cook avant de devenir CEO. Il est clairement le numéro 2 de la société. Tout ce qui est design au sein d’Apple, que ce soit le design matériel ou logiciel, est sous sa tutelle depuis le départ de Jony Ive. Il a donc une place prépondérante au sein de la société. Il est de la même génération que ses compagnons à la tête d’Apple : il a 61 ans et, comme pour Eddie Cue, c’est peut-être son seul défaut.
John Ternus
John Ternus ne fait pas partie de la même génération que les autres personnes citées : il n’a pas encore 50 ans. Quand il rejoint Apple en 2001, il s’occupe de l’ingénierie matérielle. Au fur et à mesure des années, lui aussi prend du galon et a en charge tout ce qui touche au matériel de tous les produits Apple. En 2021, il remplace Dan Riccio qui part à la retraite, augmentant d’autant son portefeuille. Ternus est souvent cité récemment comme étant le candidat le plus sérieux pour prendre la place de Tim Cook.
Parmi cette liste de prétendant, qui selon vous est le mieux placer pour devenir le prochain CEO d’Apple ? Peut-être ai-je oublié un nom, comme Deirdre O'Brien ou Johny Srouji. Qui d’après vous pourrait faire l’affaire ?