Comment Apple a participé à tuer les sites de la "tech"
Par Nicolas Sabatier - Publié le
Après la fermeture de Hardware.fr il y a quelques années, on vient d’apprendre l’arrêt du célèbre site Anandtech. Quelles sont les raisons de la fermeture de ce genre de sites, si populaires par le passé ?
C’est officiel, Anandtech n’est plus : il va disparaître après 27 ans de loyaux services. Le site a réussi à survivre au départ de son fondateur, qui l’avait créé à 14 ans, parti travailler chez Apple. Ce n’est pas le seul site spécialisé dans le test approfondi de matériel qui disparaît ces dernières années. En France, le célèbre site hardware.fr a disparu en 2018 (site sur lequel, je dois admettre, j’ai passé beaucoup trop de temps à troller dans les forums, je m'en excuse, il y a prescription…). Plus récemment, c’est le site DPReview qui est mort, puis ressuscité, en 2023.
Depuis plusieurs années, les évolutions du matériel se sont petit à petit ralenties. Il est loin le temps de la course au GHz pour les processeurs de PC (une petite pensée pour mon AMD Duron 700 que j'ai poussé au-delà du GHz, il n'a pas aimé). Fini le temps où nous passions des heures à décortiquer les fiches techniques et à lire des tests pour savoir quelle version de processeur il fallait acheter, si avoir 1Mo de mémoire cache était rentable par rapport à 512Ko.
Dernièrement, après des années où les améliorations d’une version à une autre de CPU pour smartphone étaient substantielles, elles sont presque devenues anecdotiques. Ce qui fait la différence aujourd’hui, ce sont principalement les nouveautés apportées par les applications et par le système d’exploitation. Le matériel est au service du logiciel et a peu d’intérêt en soi.
Steve Jobs n’aimait pas les informations purement techniques (sauf quand cela était à l'avantage d’Apple…). Il préférait montrer ce que pouvait faire le produit plutôt que de lister des chiffres à l’envi. Quand il montre pour la première fois l’iMac en 1998 (dont le dernier iMac emprunte l'idée de ses couleurs), il passe très peu de temps sur la technique pure (à peine deux minutes dans la keynote).
Et pour cause : son hardware est similaire au Power Macintosh G3 All-In-One sorti quelques mois plus tôt (et qui est lui-même très laid, à tel point qu’il sera affublé du surnom “Molar Mac” à cause de sa forme rappelant une molaire).
Power Macintosh G3 All-In-One ou Molar Mac
Par contre, Steve Jobs ne cessera de s’attarder sur son design innovant, disant à ce propos que son iMac a un dos plus beau que la face de tous les ordinateurs du marché. En appuyant sur son design tout-en-un, il démontre à quel point il est facile de l’utiliser grâce à sa simplicité. Pour cela, Apple produira une vidéo montrant un enfant de sept ans, aidé par un chien, utilisant l’iMac pour la première fois face à un étudiant de 26 ans (titulaire d'un MBA...) utilisant un PC lambda. Résultat : l'enfant réussit à utiliser l'iMac et à le connecter à Internet bien avant que l'étudiant n'ait pu démarrer son PC.
Et cela marche. Malgré son hardware qui n’a rien d’exceptionnel, l’iMac sera un immense succès qui participera à sauver l’entreprise. Cependant, pour montrer que l’iMac est quand même capable, Steve Jobs fera une comparaison sur la lecture vidéo au lieu de comparer la quantité de RAM ou la vitesse des bus.
Dans la même idée, quand Steve Jobs présente le tout premier iPod en 2001, il martèlera qu’il permet d’avoir 1000 chansons dans la poche. Bien sûr, il listera les formats audio supportés et le fait que le disque dur avait une capacité de 5Go, mais le message qui restera est la phrase : 1000 chansons dans la poche. Cela deviendra d’ailleurs le tout premier slogan de l’iPod, le différenciant des lecteurs MP3 à mémoire flash et des lecteurs CD portables.
À part pour le marché des gamers et des professionnels tels que les monteurs vidéos ou les graphistes, les spécifications techniques des PC aujourd’hui sont largement suffisantes pour une utilisation bureautique classique. De fait, le grand public n’a pas un réel besoin de s’informer sur le matériel, il est plutôt regardant principalement sur un seul facteur : le prix.
De plus, le journalisme spécialisé dans la technologie a beaucoup évolué depuis une grosse dizaine d’années. Les ordinateurs, et surtout les smartphones, se sont démocratisés à une vitesse folle. Ainsi, les publicités pour le matériel informatique, qui étaient affichées principalement sur les sites spécialisés, ont fini par les déserter pour préférer des sites plus généralistes et les réseaux sociaux. De plus, les changements incessants de l’algorithme du moteur de recherche Google a, au fur et à mesure, amené moins de trafic sur les sites spécialisés et plus sur les sites plus grand public ou les réseaux sociaux. Le résultat est simple : les sites spécialisés ont eu au fur et à mesure de moins en moins de publicité, et donc d’argent, alors que leurs articles étaient souvent longs et intéressants et demandaient toujours plus de temps pour être écrits. Ajoutez à cela la demande du public pour plus de photos, d’analyses et de vidéos et les coûts ont explosé. Enfin, cela ne s’est pas arrangé dernièrement avec les nouvelles IA génératives, intégrées dans le moteur de recherche Google, qui résument l’article sans même que l’utilisateur n’ait à cliquer sur le lien, l’empêchant d’afficher la publicité et privant les sites de revenu.
Le cimetière des éléphants
C’est officiel, Anandtech n’est plus : il va disparaître après 27 ans de loyaux services. Le site a réussi à survivre au départ de son fondateur, qui l’avait créé à 14 ans, parti travailler chez Apple. Ce n’est pas le seul site spécialisé dans le test approfondi de matériel qui disparaît ces dernières années. En France, le célèbre site hardware.fr a disparu en 2018 (site sur lequel, je dois admettre, j’ai passé beaucoup trop de temps à troller dans les forums, je m'en excuse, il y a prescription…). Plus récemment, c’est le site DPReview qui est mort, puis ressuscité, en 2023.
La primauté au logiciel
Depuis plusieurs années, les évolutions du matériel se sont petit à petit ralenties. Il est loin le temps de la course au GHz pour les processeurs de PC (une petite pensée pour mon AMD Duron 700 que j'ai poussé au-delà du GHz, il n'a pas aimé). Fini le temps où nous passions des heures à décortiquer les fiches techniques et à lire des tests pour savoir quelle version de processeur il fallait acheter, si avoir 1Mo de mémoire cache était rentable par rapport à 512Ko.
Dernièrement, après des années où les améliorations d’une version à une autre de CPU pour smartphone étaient substantielles, elles sont presque devenues anecdotiques. Ce qui fait la différence aujourd’hui, ce sont principalement les nouveautés apportées par les applications et par le système d’exploitation. Le matériel est au service du logiciel et a peu d’intérêt en soi.
Apple et son horreur des spécifications techniques
Steve Jobs n’aimait pas les informations purement techniques (sauf quand cela était à l'avantage d’Apple…). Il préférait montrer ce que pouvait faire le produit plutôt que de lister des chiffres à l’envi. Quand il montre pour la première fois l’iMac en 1998 (dont le dernier iMac emprunte l'idée de ses couleurs), il passe très peu de temps sur la technique pure (à peine deux minutes dans la keynote).
Et pour cause : son hardware est similaire au Power Macintosh G3 All-In-One sorti quelques mois plus tôt (et qui est lui-même très laid, à tel point qu’il sera affublé du surnom “Molar Mac” à cause de sa forme rappelant une molaire).
Power Macintosh G3 All-In-One ou Molar Mac
Par contre, Steve Jobs ne cessera de s’attarder sur son design innovant, disant à ce propos que son iMac a un dos plus beau que la face de tous les ordinateurs du marché. En appuyant sur son design tout-en-un, il démontre à quel point il est facile de l’utiliser grâce à sa simplicité. Pour cela, Apple produira une vidéo montrant un enfant de sept ans, aidé par un chien, utilisant l’iMac pour la première fois face à un étudiant de 26 ans (titulaire d'un MBA...) utilisant un PC lambda. Résultat : l'enfant réussit à utiliser l'iMac et à le connecter à Internet bien avant que l'étudiant n'ait pu démarrer son PC.
Et cela marche. Malgré son hardware qui n’a rien d’exceptionnel, l’iMac sera un immense succès qui participera à sauver l’entreprise. Cependant, pour montrer que l’iMac est quand même capable, Steve Jobs fera une comparaison sur la lecture vidéo au lieu de comparer la quantité de RAM ou la vitesse des bus.
Dans la même idée, quand Steve Jobs présente le tout premier iPod en 2001, il martèlera qu’il permet d’avoir 1000 chansons dans la poche. Bien sûr, il listera les formats audio supportés et le fait que le disque dur avait une capacité de 5Go, mais le message qui restera est la phrase : 1000 chansons dans la poche. Cela deviendra d’ailleurs le tout premier slogan de l’iPod, le différenciant des lecteurs MP3 à mémoire flash et des lecteurs CD portables.
Le marché a changé
À part pour le marché des gamers et des professionnels tels que les monteurs vidéos ou les graphistes, les spécifications techniques des PC aujourd’hui sont largement suffisantes pour une utilisation bureautique classique. De fait, le grand public n’a pas un réel besoin de s’informer sur le matériel, il est plutôt regardant principalement sur un seul facteur : le prix.
De plus, le journalisme spécialisé dans la technologie a beaucoup évolué depuis une grosse dizaine d’années. Les ordinateurs, et surtout les smartphones, se sont démocratisés à une vitesse folle. Ainsi, les publicités pour le matériel informatique, qui étaient affichées principalement sur les sites spécialisés, ont fini par les déserter pour préférer des sites plus généralistes et les réseaux sociaux. De plus, les changements incessants de l’algorithme du moteur de recherche Google a, au fur et à mesure, amené moins de trafic sur les sites spécialisés et plus sur les sites plus grand public ou les réseaux sociaux. Le résultat est simple : les sites spécialisés ont eu au fur et à mesure de moins en moins de publicité, et donc d’argent, alors que leurs articles étaient souvent longs et intéressants et demandaient toujours plus de temps pour être écrits. Ajoutez à cela la demande du public pour plus de photos, d’analyses et de vidéos et les coûts ont explosé. Enfin, cela ne s’est pas arrangé dernièrement avec les nouvelles IA génératives, intégrées dans le moteur de recherche Google, qui résument l’article sans même que l’utilisateur n’ait à cliquer sur le lien, l’empêchant d’afficher la publicité et privant les sites de revenu.