Opinion : le mauvais calcul d'Apple qui sanctionne ses plus grands fans et ses développeurs
Par Didier Pulicani - Publié le
Pour rappel, ce service -qui prendra fin en octobre prochain- permettait jusque là à tous les sites/apps de toucher un pourcentage des ventes d'applications grâce à des liens traqués présents sur leurs pages. Concrètement, cela encourageait les médias (professionnels ou amateurs) à parler des applications (tests, nouveautés, baisse de prix, découverte...) tout en se rémunérant en partie sur les ventes générées.
Très utilisée par les plateformes de vente, l'avantage de l'affiliation est double : d'un côté, Apple s'offre à moindre frais des
évangélisateurspermettant de faire découvrir des programmes parfois peu connus à leurs communauté. Et de l'autre, ces derniers peuvent se financer pour le travail fourni, sans avoir été influencés par les éditeurs, ce qui leur offre une certaine indépendance éditoriale. Dans les faits, les sommes ne sont pas extraordinaires (7% d'une app à 1 ou 2€, ça ne fait jamais que quelques centimes), mais sur des sites à forte audience, on parle quand-même de plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d'euros tous les mois, de quoi financer quelques salaires, et surtout, des contenus inédits dédiés aux apps. Certains, comme le service AppShopper ou son collègue TouchArcade, vivaient en grande partie de l'affiliation, mais la plupart des sites renvoyant vers des applications iPhone/Mac en bénéficiaient aussi, autant dire, la majorité des sites web ! Les plus spécialisés (ceux qui relaient quotidiennement les "bons plans" ou les sorties) auront très probablement disparu avant l'hiver. Pour les autres, suivant leur positionnement, le manque à gagner sera plus ou moins conséquent, et impactera forcément la façon dont ils abordent l'éditorial des applications.
En supprimant ce service, Apple récupère mécaniquement ces 7% (un peu moins sur les achats intégrés, devenus la norme), un pourcentage jusque là compris dans les 30% de commissions déjà octroyées sur les ventes d'apps ou dans les achats intégrés. A court terme, le gain est évident, et cela permettra de gonfler les résultats financiers des services -on parle ici de quelques millions, voire dizaines de millions supplémentaires qui vont rentrer dans les caisses de Cupertino chaque trimestre. Apple justifie la mesure, notamment par la nouvelle version de l'App Store, gavée d'éditorial-maison, et complétée par la recherche sponsorisée, mise à disposition des développeurs pour faire connaitre leurs applications. En clair, Apple estime ne plus avoir besoin de sa communauté pour vendre ou faire découvrir ses programmes, l'App Store se suffisant à lui-même.
Pourtant, je pense que la firme fait ici un très mauvais calcul. D'une part, il s'agit d'un véritable coup de poignard dans le dos aux petits développeurs, ceux qui ne peuvent se payer de grosses campagnes publicitaires, et qui vont une nouvelle fois se retrouver pénalisés. Ces derniers avaient déjà du mal à exister depuis quelques années -y compris les PME, rappelez-vous de l'aventure ChocolApps- et s'ils ne veulent pas mettre la clef sous la porte, il leur faudra désormais redoubler d'efforts pour se faire connaitre du grand public.... Car l'autre volet est bien-sûr médiatique : quel intérêt particulier auront les sites à relayer quotidiennement les sorties, les baisses de prix, ou la petite applications dénichée au fin fond de l'App Store s'ils ne gagnent plus un copec sur les ventes ? A moins de faire payer ces contenus par les marques, ces portails vont devoir s'orienter vers d'autres modèles publicitaires, et à ce petit jeu, seuls les grands groupes savent se faire une place, à coup de clips sur YouTube ou de tests sponsorisés -qui ne disent d'ailleurs pas toujours leur nom. En clair, il sera bien plus intéressant pour un média de parler de Fortnite ou de Pokemon Go que d'un petit utilitaire lambda d'un développeurs indépendant. Evidemment, tout ceci ne signera pas forcément la fin de l'éditorial autour des applications, mais publier ces contenus sera de moins en moins intéressant financièrement et donc, de plus en plus rare en dehors des blockbusters.
A l'heure où toutes les marques de la planète rêvent d'ambassadeurs, de communautés de fans, d'influenceurs aquis à leur cause, voilà qu'Apple se la joue solo et tourne une fois de plus le dos à ses fidèles de la première heures, ceux-là même qui ont permis à l'App Store de devenir ce qu'il est aujourd'hui. Quel message étrange envoyé par Tim Cook à toutes ces personnes impliquées dans la communauté iOS depuis une décennie et qui contribuaient d'ailleurs souvent plus par passion que par pur intérêt financier. Drôle de cadeau d'anniversaire pour les 10 ans de la boutique !
La décision étonne aussi du côté du Mac App Store, qui peine à décoller, et qui compte une toute petite poignée de sites dédiés aux applications. Plutôt que de pointer vers la boutique d'Apple, certains médias préféreront désormais s'arranger avec les éditeurs, dont certains ont déjà un programme d'affiliation -la distribution d'apps étant plus libre sur Mac que sur iOS. A moins qu'à terme, Apple envisage sérieusement d'imposer le Mac App Store aux éditeurs, dont la plupart s'en passent très bien aujourd'hui -Microsoft et Adobe en tête- se dispensant par la même occasion des 30% de commissions octroyées par Apple sur les ventes.
Sur le plan financier, le calcul est sans-doute mûrement réfléchi, mais Apple prend quand-même le risque de faire délibérément disparaitre une grande partie des médias dédiés aux applications, et donc, des ventes qui en découlaient jusque là. Le pari financier n'est donc pas forcément gagné d'avance, à supposer qu'il ne soit pas dilué dans la croissance de la boutique. Il y a aussi le risque de voir fuir tous les
petitsdéveloppeurs, dont la Pomme semble se désintéresser de plus en plus au profit des grands éditeurs, plus rentables. Mais avait-elle vraiment besoin de ça ? En imaginant que 100% des ventes d'apps aient été issues de l'affiliations, cela représenterait environ 9 milliards sur 10 ans, soit à peine 800 à 900 millions par an, le chiffre réel étant certainement bien en deçà (difficile à chiffrer, mais sans doute moins de 10% des ventes, soit 90 millions par an). Bref, une paille dans le chiffre d'affaire de la compagnie (~250 milliards par an) au regard des mises en avant et des ventes ad-hoc effectivement générées.
In fine, Apple prouve une nouvelle fois que, plus elle va bien, moins elle se montre généreuse avec ses partenaires historiques -on en sait quelque chose sur les sites dédiés à la marque, bannis des keynotes et des exclusivités depuis près de 8 ans. De quoi nourrir le sentiment que la Pomme était souvent plus attrayante pour sa communauté lorsqu'elle était dans la position de challenger que dans le costume de maitre du monde. L'image de Steve Jobs devant le siège d'IBM (Le
Big Brotherde l'époque) apparait aujourd'hui quelque peu décalée avec la politique de son successeur.