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Exclu' : interview de JC Biver (LVMH) "l'horlogerie suisse n'a pas dit son dernier mot"

Par Laura Tibourcio de la Corre - Publié le

Après la présentation de l'Apple Watch, les horlogers suisses n'ont pas été particulièrement tendres envers cette montre connectée, et les remarques de Jean-Claude Biver ont notamment défrayé la chronique. Alors qu'il est en voyage au Japon, le CEO de Tag Heuer et président de la division Montres du groupe LVMH, a gentiment accepté de répondre à nos questions.

Exclu' : interview de JC Biver (LVMH) "l'horlogerie suisse n'a pas dit son dernier mot"

La semaine dernière, les remarques de Jean-Claude Biver concernant l'Apple Watch n'ont pas manqué d'attirer l'attention. Il qualifiait son design de trop féminin, considérait que cette montre connectée n'avait aucun sex appeal et finissait d'ailleurs par affirmer qu'elle avait l'air d'avoir été conçue par un étudiant de première année. L'homme revient pour nous sur ces déclarations et nous explique ce qui lui semble essentiel dans la design d'un objet aussi personnel qu'une montre.

Vous avez déclaré que l’Apple Watch n’avait aucun sex-appeal, comment l’aviez-vous imaginé ? Que lui manque-t-il à votre avis ?



Jean-Claude Biver : Mes critiques sur le design de l'Apple Watch auraient dû rester privées et n’auraient pas dû être rendues publiques. Par contre, depuis 40 ans, j’ai toujours pensé qu’un design horloger trop parfait (dans lequel seraient absents les contraires, les contradictions et les tensions esthétiques) risquait de manquer de sex appeal. La montre est un objet particulièrement émotionnel qu’on porte tout près de soi, près du corps et souvent pendant plus de 12 heures par jour. C’est un produit dont l’esthétique et le succès obéissent à des règles encore très empiriques, et surtout, très traditionnelles. Peut-être est-ce pour cette raison qu’à ce jour, à ma connaissance, aucune montre iconique n'a été dessinées par un "designer" extérieur au métier, contrairement à la voiture, ou à d’autres produits de consommation.

Suite aux réactions unanimes des barons de l'horlogerie suisse, qui se sont accordés pour déclarer qu'ils ne craignaient en rien le lancement de l'Apple Watch, Elmar Mock, co-inventeur de la montre Swatch, s'est dit choqué du fait que ces spécialistes du Swiss Made aient choisi délibérément de ne pas prendre part aux mutations actuelles du marché. Face à cette accusation, Jean-Claude Biver a souhaité tempérer les choses et titille même notre curiosité concernant le lancement prochain de nouveaux produits connectés : Il a partiellement raison, mais l’industrie horlogère a compris depuis lors l’intérêt de ce marché et elle n’a pas dit son "dernier mot". On verra certainement des montres connectées suisses dès la Foire de Bâle 2015

Exclu' : interview de JC Biver (LVMH) "l'horlogerie suisse n'a pas dit son dernier mot"

Suspense donc, avant BaselWorld, et TAG Heuer, filiale de LVMH, a d'ailleurs annoncé aujourd'hui qu'elle préparait une montre connectée, tout en essayant de se démarquer de l'Apple Watch : on ne peut pas se permettre de juste suivre les pas de quelqu'un d'autre a déclaré à ce propos Jean-Claude Biver.

Interrogé par Mac4Ever à ce sujet l'homme a d'ailleurs affirmé qu'il n'attendrait pas que le marché des smartwatches explose pour l'attaquer et que la Suisse avait les compétences nécessaires pour faire face aux géants de la Silicon Valley.

Si le marché des smartwatches au niveau mondial vient à peser aussi lourd que la totalité de l’industrie horlogère suisse, cela vous poussera-t-il à vous lancer sur ce segment ?



Jean-Claude Biver : Nous n’excluons nullement de nous lancer dans ce marché et n’allons pas attendre qu’on nous y pousse. Il faut par contre que nous puissions apporter un produit qui se différencie de ceux des marques telles que Apple, Samsung, Motorala, Sony etc. Sinon nous allons courir derrière eux, alors que notre vocation c’est d’être dans notre métier : premier, différent et unique.

Pensez-vous que les smartwatches soient l’apanage des constructeurs informatiques, les horlogers suisses n’ayant pas leur place sur ce marché ?



Jean-Claude Biver : Il faut savoir que le CSEM à Neuchâtel, né de la fusion en 1984 du Centre Electronique Horloger (CEH), de la Fondation Suisse pour la Recherche en Microtechnique (FSRM) et du Laboratoire Suisse de Recherches Horlogères (LSRH) possède de nombreux brevets, d’innombrables et importantes inventions et compétences qui permettraient déjà aujourd’hui de faire une smartwatch suisse en Suisse ! Il n’est donc pas exclu de penser qu’on pourrait bientôt voir la réplique de certains horlogers suisses.[

Exclu' : interview de JC Biver (LVMH) "l'horlogerie suisse n'a pas dit son dernier mot"

Après tant de teasing, il nous tarde donc de découvrir ce qui sera présenté à BaselWorld et de savoir si la Pomme aura un stand dédié à son Apple Watch sur le salon. Pour finir, Jean-Claude Biver précise tout de même que la montre connectée et la montre de luxe ne jouent tout de même pas dans la même cour, et ne se cannibaliseront donc pas. Il estime même que les smartwatch pourrait même préparer le terrain pour les horlogers suisses, et leur permettre de séduire plus facilement de nouveaux clients :

Considèrez-vous que l’arrivée des montres connectées sur le marché soit une révolution comparable à celle des montres à quartz ?



Jean-Claude Biver : Non, car le quartz était une nouvelle technique appelée à remplacer le mouvement mécanique (ce qu’il n’a réussi à faire que dans les montres entrée de gamme), alors que la montre connectée ne remplace pas un mouvement ou une montre existante. Elle est bien plus le complément d’un téléphone, une sorte de «mini computer» au poignet. Certes elle peut concurrencer les montres suisses d’entrée de gamme, mais pas le 80% du chiffre d’affaire de notre industrie que se fait avec des montres au dessus de 1500.- CHF. Il est intéressant de noter que la plupart des montres de qualité suisse, sont surtout des produits qui «communiquent» vers l’extérieur le statut, gout, style de vie, etc de son utilisateur. Alors que les montres connectées sont des produits qui ne communiquent pas vers l’extérieur, mais «informent" son utilisateur. Il existe une grande différence entre un produit de communication et un produit d’information. Le premier est dirigé vers l’extérieur, le second est dirigé vers l’intérieur. Aussi je ne pense pas que l’un remplacera l’autre. Ce d’autant plus que la plupart des montres suisses de qualité sont des «objets éternels» à l’abri de l’obsolescence et dont la valeur a souvent tendance à augmenter avec le nombre des années. Mais la montre connectée apprendra certainement à toute une génération qu’on peut porter "quelque chose" au poignet et la préparera à travers la montre connectée, comme l’a fait en son temps la Swatch, à porter un jour une montre suisse de qualité.

Exclu' : interview de JC Biver (LVMH) "l'horlogerie suisse n'a pas dit son dernier mot"

Merci à Jean-Claude Biver d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.