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Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !

Par Nicolas Sabatier - Publié le

Dans le passé, les applications Mac étaient considérées comme de qualité supérieure. Les utilisateurs Windows étaient souvent subjugués par la facilité d’utilisation et la qualité du design. Revivons cet âge d’or du Mac ce dimanche !

Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


Wil Shipley a annoncé que sa vénérable application Delicious Library ne marcherait plus à cause d’Amazon. Même si cela fait longtemps qu'elle n’était pas activement développée, cela a choqué beaucoup dans la communauté Mac. En effet, ce logiciel représentait quelque chose de spécial, voire d’historique : une vraie belle application native Mac qui a eu du succès, produite par un développeur indépendant. À tel point que certains développeurs se sont appelés “The Delicious Generation”.

Revenons sur une époque révolue où les applications Mac étaient les meilleures, et les plus jolies, au monde.

Pourquoi Delicious Library était important



Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


Delicious Library est un logiciel dont le concept n’a rien de révolutionnaire : il permet simplement de répertorier ses possessions, que ce soit des livres, DVD, CD et autres. Ce n’est au final qu’une base de données. Certains, à l’époque, utilisaient des fichiers Excel ou une base FileMaker pour faire la même chose. Là où Delicious Library s’est démarqué est par le fait d’intégrer du fun partout, en commençant par le nom.

Autre élément qui avait charmé les utilisateurs était l’attention aux détails : chaque pixel était savamment choisi pour rendre l’application la plus belle et la plus satisfaisante à utiliser. Cela allait jusqu’à une icône de la version bêta superbe.

Regardez-moi cette texture, l'autocollant qui a vécu, l'impact de balle, tout ça pour une icône de beta !
Regardez-moi cette texture, l'autocollant qui a vécu, l'impact de balle, tout ça pour une icône de beta !


On peut noter, par exemple, la légère réflexion sur le boitier CD :


Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


Ou encore la différence de taille entre les livres de poche et les livres brochés (avec le pli proche de la tranche).

Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


Là où l’utilisation est rébarbative sur Excel ou un gestionnaire de base de données, c’était un plaisir d’entrer un nouveau livre dans Delicious Library. On pouvait entrer les produits en scannant le code barre avec sa webcam (chose nouvelle à l'époque) et toutes les informations (nom, auteur, année de sortie, image, etc) étaient entrées automatiquement. Ce qui est quand même beaucoup simple, efficace et fun que d’entrer une ligne dans un tableur. Sans compter le fait que regarder l’étagère virtuelle dans Delicious Library était beaucoup plus sympa que de regarder un tableau Excel.

Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


Quand Delicious Library sort et commence à avoir du succès, cela donne des idées et inspire de nombreux développeurs. Cette popularité démontre qu’un bon logiciel indépendant, même vendu à 40$, peut trouver un marché, à condition d’avoir un design inspiré et une attention aux détails hors norme.

Des outils de développement de qualité sur Mac



Delicious Library était développé principalement par une personne, démontrant ainsi qu’il est possible de faire un logiciel complet de grande qualité sans avoir besoin d’une horde de développeurs. Ce qui pose la question : comment un tel logiciel a pu être développé par une équipe aussi réduite ? Pour répondre à cela, il faut faire un peu d’histoire.

Le NeXT Cube de Tim Berners-Lee, créateur du Web.
Le NeXT Cube de Tim Berners-Lee, créateur du Web.


Quand Apple achète NeXT en 1997, c’est surtout pour son système d’exploitation NeXTSTEP qui deviendra Mac OS X. Cependant, NeXT avait aussi d’autres logiciels très importants qui seront portés sur Mac comme Interface Builder (logiciel pour développer l’interface des applications), Project Builder (afin de programmer et qui sera renommé par la suite XCode) et des bibliothèques telles qu’AppKit et Foundation. Des outils, bien qu’utilisés par pas grand monde (à part John Carmack et Tim Berners-Lee) à cause des échecs commerciaux des machines NeXT, mais qui étaient considérés comme les meilleurs dans l’industrie. Ils s’appuyaient principalement sur la puissance de la programmation orientée objet, possible grâce à l’utilisation du langage Objective-C. Ainsi, tout est fait dans Mac OS X pour permettre un développement simplifié grâce aux bibliothèques bien pensées comme AppKit ou plus généralement Cocoa.

NeXTSTEP : bienvenue dans le futur.
NeXTSTEP : bienvenue dans le futur.


Un attrait pour les développeurs indépendants



Mac OS X possédait donc parmi les meilleurs outils de développement du marché. Ils permettaient aussi à des équipes restreintes de pouvoir développer des logiciels de qualité facilement et de concurrencer des équipes bien plus fournies. De plus, après des débuts difficiles pour Mac OS X, le système devient de plus en plus stable et performant.

Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


À partir de 2003, la plateforme Mac a de plus en plus le vent en poupe. La première des raisons est le succès de l’iPod, d’autant plus à partir du moment qu’il permet d’être utilisé sur Windows. L’iPod devient le cheval de Troie d’Apple qui attire de nombreux clients vers le Mac, étant conquis par la simplicité d'utilisation et la qualité du lecteur MP3 venant de Cupertino.

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Un autre élément joue en la faveur d’Apple : Microsoft a beaucoup de difficultés à développer un successeur à Windows XP qui devient vieillissant et peu sécurisé. De plus, quand son remplaçant Windows Vista arrive sur le marché, il ne convainc personne. Pire, des utilisateurs sont tellement mécontents du dernier système de Redmond qu’ils migrent sur Mac.

Steve Jobs recevant un "CPU wafer" des mains du CEO d'Intel annonçant le passage aux processeurs Intel pour les Mac.
Steve Jobs recevant un "CPU wafer" des mains du CEO d'Intel annonçant le passage aux processeurs Intel pour les Mac.


Dernier facteur important, Apple décide de passer aux processeurs Intel en 2006, permettant de faire tourner Windows sur son Mac si besoin. Cela permet de convaincre beaucoup de clients à acheter un Mac, ayant la possibilité d’utiliser tous leurs logiciels sous Windows avec Boot Camp ou une machine virtuelle si besoin. Bref, tout pousse à ce que la plateforme Mac soit attirante au milieu des années 2000.

Le Dock de Leopard est mon préféré. Et puis regardez-moi ces belles icônes !
Le Dock de Leopard est mon préféré. Et puis regardez-moi ces belles icônes !


Avec une plateforme en plein essor, cela attire les convoitises. De nombreux développeurs indépendants commencent à apprivoiser les outils proposés par Apple et programment des applications de qualité sans à avoir besoin d’une grande équipe. Ajoutons à cela que le Mac a toujours attiré des utilisateurs créatifs, ce qui est le cas des développeurs indépendants qui auront à cœur de faire une icône magnifique pour leur application. Cela est possible grâce à une taille d’icône possible de 512 x 512 pixels à partir de 2007 avec Leopard (cela passera à 1024 x 1024 avec Lion en 2011, ce qui est toujours d’actualité). Rappelons que l’iPhone, qui sort en même temps que Leopard, a un écran d’une résolution plus faible (320 x 480) qu’une icône du Dock…

Il s’ouvre alors une fenêtre enchantée entre 2005 et 2010 où de nombreuses applications indépendantes sortent sur Mac démontrant la supériorité du système sur ses concurrents.

Exemples d’applications de l'époque dorée



Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


On peut aborder, par exemple, les applications développées par Panic comme le client FTP Transmit et le logiciel CandyBar (qui permettait de changer les icônes de son système) ou encore le logiciel de développement Coda.

Le logiciel de retouche photo Acorn sorti en 2007 et qui vient de sortir sa huitième version.

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Citons un autre logiciel de retouche photo : Pixelmator, lui aussi sorti en 2007 et récemment acquis par Apple.

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Comment ne pas aborder NetNewsWire, lecteur de flux RSS sorti en 2002. Très populaire, il devient le premier lecteur de flux RSS en 2005, toutes plateformes confondues (avant d’être dépassé par Google Reader qui sortira fin 2005).

Autre application indépendante de qualité qui existe encore aujourd’hui : Things qui est un gestionnaire de tâche sorti en 2007.

Je pourrais continuer ainsi longtemps avec Skitch, Sketch, Coversutra, AppZapper, Tweetie et son cousin Twitterrific…

Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


Allez, un dernier exemple pour la route : Disco. C’était une application qui permettait simplement de graver un CD ou un DVD. Ce n’était en fin de compte qu’une interface utilisant DiscRecording.framework mais avec un petit twist sympa : une génération d’une fumée dynamique pendant la gravure. Simple, efficace, jolie et fun.

Macheist permettait d'acheter des applications Mac indépendantes pas chères.
Macheist permettait d'acheter des applications Mac indépendantes pas chères.


Qu’ont toutes ces applications en commun, sinon d’être développées par des développeurs indépendants ? Ce sont toutes de belles applications avec un soin du détail au pixel près. Toutes ont une sublime icône et elles utilisent les dernières API fournies par Apple intelligemment. J’ai pu en découvrir un grand nombre à l’époque grâce au concours MacHeist qui permettait d’acheter beaucoup d’applications à bas prix grâce à de nombreux bundle.

Les responsables de la chute



Pourquoi cet éco-système vertueux s’est-il arrêté à partir de 2010 ? Il y a plusieurs raisons à cela. La première est l’arrivée de l’iPhone en 2007 et surtout de l’App Store en 2008. Pour ceux qui s’en rappellent, l’App Store était considéré comme un véritable Eldorado avec des applications simples qui pouvaient rendre millionnaire leur développeur.

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Ainsi, nombre de développeurs Mac se sont mis à faire des applications pour iPhone qui sont devenus très rentables au fur et à mesure du temps, jusqu’à le devenir beaucoup plus que sur Mac. Ils ont, par conséquent, progressivement privilégié le développement sur iPhone au détriment du Mac.

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De surcroît, le nouveau smartphone devient la priorité d’Apple. Le Mac bénéficie de moins d’investissements (par exemple, Leopard a été retardé afin de permettre de finaliser le premier système d’exploitation de l’iPhone). Cela aussi a des conséquences sur les outils de développement qui ne sont alors plus les meilleurs du marché et sont souvent buggés sur Mac, encore aujourd’hui (essayez de développer une application SwiftUI sur Mac et vous m’en direz des nouvelles…).

Ce changement de priorité se ressent un peu partout. Prenons le cas des Apple Design Award qui était un moyen pour Apple de pousser les développeurs sur Mac et de faire de la communication autour des bonnes pratiques. Or, en 2009 et 2010, il n’y a pas eu d’Apple Design Award pour les Mac… Et depuis 2015, aucune application exclusive au Mac n’a reçu un Apple Design Award. L’iPhone a tout phagocyté.

Le Mac est le grand perdant des Apple Design Award.
Le Mac est le grand perdant des Apple Design Award.


Autre raison de ce déclin des applications indépendantes sur Mac : la complexité croissante des logiciels. Aujourd’hui, Apple pousse au multi-plateforme iOS/macOS/iPadOS, etc. Nous avons eu les nouvelles technologies telles que Catalyst qui permet d’utiliser une application iOS/iPadOS directement sur Mac, ou encore SwiftUI qui permet de développer une application sur tous les systèmes en utilisant qu’une seule bibliothèque (alors qu’il fallait utiliser AppKit sur Mac et UIKit sur iPhone). Les utilisateurs ont des besoins beaucoup importants qu’il y a 10 ans avec des applications disponibles partout (smartphone, tablette, en ligne et sur ordinateur), qui se synchronisent et sauvegardent leurs données. Cela rend le développement par une petite équipe d'autant plus difficile.

iOS 7 à gauche et iOS 6 à droite.
iOS 7 à gauche et iOS 6 à droite.


Enfin, avec l’arrivée de Jony Ive à la tête du design du logiciel à partir de 2012, il y a eu un changement de style des systèmes. Adieu le skeuomorphisme et bonjour le design plat avec peu de contraste. Même si le skeuomorphisme a été un peu abusé pendant un temps, cela offrait la possibilité d’avoir des applications avec du caractère et surtout différentes les unes des autres. Cela permettait d’ajouter beaucoup de détails avec des textures pour simuler, par exemple, une étagère ou une table de poker. En optant pour un design plat, sous la direction de Jony Ive, le Mac a perdu un peu de sa personnalité. Il y a au final peu de différence avec Windows et Android : un design simple, voire simpliste, et même triste sur toutes les plateformes.

Electron a tout emporté



Depuis quelques années, pour palier le besoin de développer une application pour chaque plateforme, une solution s’est imposée : Electron. Cela permet, pour faire simple, de développer une application une seule fois puis de la faire fonctionner sur tous les systèmes (ce que nous avait vendu Sun avec Java il y a 30 ans…). Electron est en fait le moteur de Chrome et les applications sont des applications web. Par exemple, 1Password, qui était un des fers de lance sur Mac en étant exclusive à la plateforme, est passée à Electron. Après des années à développer une application native, les développeurs se sont résignés à passer à Electron à cause de la version Windows, leur évitant deux développements différents (et en leur faisant faire des économies).

Le passage à Electron de 1Password a été interprété comme une trahison par certains fans du Mac.
Le passage à Electron de 1Password a été interprété comme une trahison par certains fans du Mac.


Aujourd'hui, rares sont les applications de qualité et natives. Electron règne en maître. On peut imaginer des hordes d’utilisateurs Mac utilisant des applications multi-plateforme voire non natives à base d’Electron comme Visual Studio Code, Slack, Discord, Notion, WhatsApp, Figma ou encore Teams. La liste est grande.

Quand les applications Mac étaient de qualité : de Delicious Library à Electron !


En quoi cela est-il nocif pour l’utilisateur ? Tout d’abord parce qu’Electron est très gourmand en ressources, que ce soit en RAM ou en espace disque (chaque application inclut le moteur Chromium et des dépendances, un vrai gâchis). Les applications sont aussi moins bien intégrées au système et aux fonctionnalités natives (essayer de faire un clic droit ou de scroller et vous verrez la différence avec une “vraie” application Mac). Elles donnent aussi une sensation bizarre d’utiliser une application à part par rapport à celles natives difficile à décrire. Enfin, elles posent de sérieux problèmes au niveau de l’accessibilité, point fort des systèmes Apple, n’utilisant pas les outils fournis par Cupertino.