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Nouveaux MacBook Pro et avenir du Mac : ça grince fort dans la "communauté Apple"

Par Didier Pulicani - Publié le

Il y a 15 ans, il fallait être un peu fada pour prêter un avenir glorieux à la Pomme et la plupart des journalistes prenaient alors un malin plaisir à ignorer abondamment la moindre keynote ou sortie produit, même lors de la présentation emblématique de l'iPod ou de l'iMac. A l'époque, Apple disposait cependant d'une solide base d'utilisateurs, fidèles, évangélistes et souvent prêts à lui pardonner beaucoup de choses.

En 2016, Cupertino a quitté son rôle de challenger pour endosser l'habit de leader, et c'est à ce moment là que les rôles s'inversent : les grands médias ne tarissent plus d'éloges et encensent le moindre produit frappé d'une Pomme tandis que la communauté historique se retrouve noyée par une marée grand public, qui dicte désormais la plupart des choix stratégiques de l'entreprise. Ironiquement, les fans de la première heure se retrouvent souvent en première ligne lorsqu'il s'agit d'apporter un regard plus critique sur les produits.

Apple a pourtant très bien géré ce tournant médiatique en instaurant un système de castes journalistiques. Le nombre de médias qui a accès à la keynote et aux produits en avant-première est désormais très limité. Pour ces magazines, sites web, blogs, et même youtubers, figurer dans les petits papiers d'Apple est à la fois un gage d'audience (exclusivité oblige) et de reconnaissance du secteur tout entier. Dès lors, le bashing est devenu beaucoup plus rare dans la presse, même lorsqu'un produit laisse à désirer. C'est ainsi que l'on a pu voir fleurir des notes autour de 9/10 pour le dernier iMac 4k/5k chez TheVerge, alors que la machine est encore livrée -à l'heure où j'écris ces lignes- avec un disque à plateaux (à plus de 2000€...) et sans GPU dédié. A la moindre affaire un peu gênante, tel de bons petits soldats, les blogueurs chouchoutés par Tim Cook -John Gruber en tête- cherchent à tout prix des excuses à la Pomme, histoire de ne pas trop froisser leurs précieux contacts.

Nouveaux MacBook Pro et avenir du Mac : ça grince fort dans la "communauté Apple"


Seulement voilà, il règne depuis la dernière keynote un vrai malaise dans la communauté Apple. Car au soir des annonces, tous les journalistes présents sur place n'ont cessé de vanter les mérites de ces nouveaux MacBook Pro Retina, dont la Touch Bar leur est apparue absolument amazing et le tout Thunderbolt 3 une évidence. L'absence d'annonces hardware (en dehors des portables) pour une keynote baptisée Hello Again n'a pas semblé choquer ce petit groupe, tout autant que les tarifs dévoilés à l'issue de la conférence. C'est pourtant à ce moment précis que la fracture s'est produite, et je pense que beaucoup se sont aperçus du décalage béant entre les utilisateurs historiques des produits et cette petite clique médiatico-marketing qui entoure chaque sortie d'un nouveau Mac. Les défenseurs d'hier se sentent aujourd'hui obligés de sortir du bois, comme le développeur Michael Tsai qui fait le buzz depuis une semaine en recueillant l'ensemble des critiques des grandes figures professionnelles de la communauté, qui ont l'impression d'avoir été profondément abandonnées.

Pour être tout à fait franc, je pense que les critiques qui entourent les nouveaux MacBook Pro Retina sont parfois un peu excessives. Vous avez pu l'apercevoir dans notre premier test vidéo du modèle 13" (sans Touch Bar), une fois la machine en mains, on se rend vite compte qu'elle est plutôt réussie : malgré les compromis, il y a aussi beaucoup d'éléments positifs. En fait, ce qui fait vraiment grincer des dents, c'est principalement le tarif et le prix des options, parfois à la limite du supportable (comme la RAM ou le SSD). Proposer un modèle 15" à 2700€ et avec 256Go de stockage est tout simplement criminel et pousse à dépenser encore plus... L'entrée de gamme est systématiquement sous équipé et mal tarifé, et ça fait plusieurs années que ça dure. (Le nouveau MacBook Pro Retina 13" sans Touch bar devrait coûter 1399€, pas 1699€ ! Et au dessus de 1500€, les machines devraient proposer au moins 512Go en standard !)

Mais au delà, le ras-le-bol vient aussi du sort du Mac tout entier, et des capacités d'Apple à maintenir une gamme qui a du sens année après année. Avec plus de 200 milliards en banque, Tim Cook n'a absolument aucune excuse pour laisser pourrir ses Mac Pro (et ses Mac mini) comme il le fait depuis 2013. Ça en devient insultant, surtout pour ceux qui ont déboursé de vraies fortunes en s'équipant avec des modèles à plus de 10 000€, et qui n'ont même pas eu droit à un petit upgrade GPU ou SSD en cours de route ! Qu'Apple nous laisse simplement travailler ! me confiait récemment un graphiste, qui plaidait surtout pour avoir des machines modulaires, mises à jour régulièrement et avec de bonnes capacités de stockage.

Nouveaux MacBook Pro et avenir du Mac : ça grince fort dans la "communauté Apple"


Lorsque Jason Snell, rescapé de MacWorld, titre en gros Pourquoi 2016 est-elle une année si difficile pour le Mac ?, il résume parfaitement la situation. Ce vieux routier d'Apple raille ouvertement Phil Schiller lorsqu'il déclare à un journaliste ne pas comprendre l'agacement ambiant autour des annonces et s'amuser des débats suscités. Je serais curieux de savoir avec quelles machines développent les ingénieurs de Cupertino ! s'esclaffe à son tour Dave Mark, sur TheLoop, qui a un peu changé de discours depuis la keynote. Même John Gruber avoue ne pas se rappeler du dernier Special Event qui avait pu générer autant de commentaires négatifs. Je pourrais également citer Maco Arment, célèbre développeur, qui regrette amèrement le désintérêt d'Apple pour le Mac Pro (jusqu'à en rappeler, point par point, l'intérêt propre d'une telle machine... comme s'il fallait le susurrer à Apple !), ou encore TheVerge qui titre "Le MacBook Pro est un mensonge", soulignant qu'Apple a sans doute oublié ce qu'était une machine professionnelle.

Plus récemment encore, c'est Jason Calacanis, célèbre entrepreneur et business-angel (fondateur de Weblogs, Inc) qui s'en est en pris violemment à Tim Cook le qualifiant d'ennuyeux, sans vision et incompétent. Dans un podcast vidéo, l'homme estime que le PDG actuel n'est pas à sa place et fait beaucoup de tort à la compagnie Si vous mettez quelqu'un en charge de la logistique à la tête d'Apple, tout se passe bien, les trains arrivent à l'heure. Mais les produits en souffrent... Calacanis est particulièrement agacé qu'Apple ait supprimé le jack de l'iPhone et ne propose aucune connectique en dehors de l'USB C sur ses nouveaux MacBook Pro Retina Quand on sait à quel point les gens de la vidéo et les développeurs sont attachés à tout ça, c'est vraiment la preuve d'un bon niveau d'incompétence renchérit-il.



Cette histoire de baisse de prix des accessoires intervenue 8 jours après la keynote est quand-même assez révélatrice du décalage entre les utilisateurs et les dirigeants d'Apple. Ces derniers semblent tomber des nues en s'apercevant que ceux qui ont acheté une machine professionnelle à plus de 3000 (voire 5000€), sont un peu irrités de devoir repasser à la caisse pour simplement brancher leur souris, leur moniteur Apple, ou... leur iPhone ! Si le geste promotionnel reste appréciable, on aurait quand-même préféré que la firme intègre un ou deux adaptateurs dans la boite, au moins pour le symbole, comme avec l'iPhone 7 et le jack.

Le problème de fond ne concerne pas seulement le prix des machines -qui a toujours paru très élevé- mais aussi la manière de présenter les choses. Tim Cook n'est pas Steve Jobs et l'homme peine à apporter sa Magic Touch pendant les keynotes. A l'époque, chaque mot était pesé et s'inscrivait dans une vision claire de l'avenir -peu importe le champs de distorsion choisi. Lorsqu'iPapy avait dévoilé les MacBook Air en 2008, on savait que ce qu'on perdait d'un côté -les upgrades- on le récupérait de l'autre, avec un poids plume, une machine plus compacte et des SSD nouvelle génération. Cette année, les contraintes paraissent infiniment plus nombreuses que les bénéfices : la Touch Bar ne suffit clairement pas à faire exulter des gens qui travaillent en grande partie sur un écran et un clavier déporté et cette jungle de la connectique -qui nous suivra pour les 10 prochaines années- n'arrange rien à la grogne (L'USB classique et le HDMI vont encore perdurer longtemps, car ces connecteurs ont largement dépassé le cadre informatique !). Rajoutez à cela une augmentation généralisée des tarifs, et la boucle est bouclée !

Nouveaux MacBook Pro et avenir du Mac : ça grince fort dans la "communauté Apple"


En amont de la keynote, il y avait également un problème d'intitulé. Annoncer une conférence baptisée Hello Again pour présenter une seule gamme de Mac fut incontestablement une faute de communication. Apple aurait pu faire taire une partie de la grogne en évoquant simplement les portables dans son invitation, et en suggérant pendant la keynote que la suivante s'occupera des machines de bureau. Et si l'avenir du Mac Pro, c'est le MacBook Pro, pourquoi ne pas enterrer officiellement le cylindre ? Aujourd'hui, la presse spécule beaucoup, mais peu de gens savent réellement quelle est la stratégie produit du groupe, dont la gamme est devenue carrément illisible. Cette diapo en dit d'ailleurs long sur le sujet :

Nouveaux MacBook Pro et avenir du Mac : ça grince fort dans la "communauté Apple"

Pas très "pro", tout ça, Mr Schiller !


Bref, si le Mac n'est plus une priorité pour Cupertino, pourquoi ne pas briser un peu les codes et lâcher quelques infos sur la roadmap ? Schiller l'avait déjà fait avec l'iMac et le Mac Pro à une époque où la communauté était éprise de doutes semblables sur les capacités de la firme à renouveler ses machines. C'est d'autant plus étonnant que pour un programme comme Final Cut Pro, Apple n'hésite pas à consulter le marché et à présenter l'application des mois avant la sortie, tout en sachant éperdument que cela provoquera quelques fuites rassurantes dans le métier.

Pour conclure, je dirais qu'Apple a toujours eu une stratégie confuse et risquée, ce qui l'a conduite à la fois aux plus gros succès (l'iPhone, l'iPad, l'iPod) et à ses plus grands échecs (ils sont nombreux). Les produits ont toujours été chers, et pas forcément les plus performants. Et les clients ont régulièrement connu des périodes plus ou moins difficiles à vivre, surtout dès que l'on évoque les changements de connectique. La question de la stratégie (au sens plus global) et de la vision produit me semble en revanche plus légitime : Cook et Schiller n'expliquent plus grand chose pendant les keynotes, et préfèrent détailler leurs arguments dans la presse, souvent de manière confuse (on l'a vue avec le jack et le port SD récemment).

Finalement, ce qui manque peut-être le plus à Apple actuellement, n'est-ce pas un grand orateur, quelqu'un qui incarne une stratégie claire, une vision, et qui serait capable d'expliquer ses choix sans ambiguïté ? Un nouveau "Steve Jobs", en sommes !