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Interview : deux "nageuses" racontent leur expérience "piscine" à l'école 42

Par Didier Pulicani - Publié le

Ce n'est pas tous les jours qu'un milliardaire français ouvre une école d'informatique gratuite en France, et surtout, qu'il l'équipe d'un millier d'iMac 27" flambant neufs !

Après vous avoir fait découvrir les coulisses côté administrateurs (lire : Des iMac chez Xavier Niel ? Nos questions à Florian Bucher de l'école "42"), nous nous sommes intéressées aux élèves, notamment ceux qui ont passé la très difficile épreuve de la piscine, qui s'est terminée en septembre dernier.

Camille et Laurène ont fait partie de l'aventure, chacune à leur manière et elles ont accepté de nous raconter un peu leur grand bain. Vous verrez notamment qu'être une fille dans une école de mecs n'est pas forcément un handicap, mais aussi qu'être débutant n'est pas non plus rédibitoire pour réussir à être admis. Bref, si vous êtes encore au lycée ou que vous envisagez l'école 42 l'année prochaine, voilà de quoi vous faire une idée plus précise de ce qu'ont pu vivre ces deux étudiantes de l'intérieur.

Pourquoi avoir tenté l’expérience 42 ?



Camille : Pour moi, c’était avant tout un défi personnel. [...] Mon but initial était déjà de réussir l'admission pour passer à la suite et être prise à la Piscine, pour participer au mois d’immersion totale dans ce monde tout nouveau pour moi. Après, cela m’était égal d’être prise ou pas, car de toute façon, je n’allais pas à 42. Parce que j’avais déjà signé mon contrat de travail (dans un autre domaine) pour les 3 prochaines années. Je voulais juste apprendre un maximum de chose en un minimum de temps. Je n’avais rien à perdre, juste tout à y gagner. J’y suis aussi allée pour les 1000 iMac de 27" tout neufs, car j’avoue que je ne me serais même pas intéressée si cela avait été des PC (même si dans la console très franchement tu ne vois pas la différence entre un Mac et un PC !)

Laurène : Je m’intéresse à l’éducation, à la créativité et aux innovations pédagogiques depuis que j’ai découvert ce TED talk de Ken Robinson. Je travaille aujourd’hui à France Business School, une école de commerce nouvelle génération qui a pour ambition de former les leaders entrepreneurs de demain et qui a donc, elle aussi, mis en place un mode de recrutement inédit, plus ouvert à la diversité : les Talent Days. Je me suis inscrite à 42 par curiosité parce que, dans mon métier, je me dois d’être au courant de tout ce qui potentiellement représente une innovation pédagogique. J’ai été sélectionnée pour faire la piscine et fBS m’a encouragé à faire l’épreuve. J’ai aussitôt voulu raconter mon aventure au jour le jour dans mon blog Edutopies.

Est-ce tu penses qu’on peut s’en sortir en étant totalement novice en programmation ?



Camille : Il n’y a pas besoin de savoir programmer, par contre, il faut des bases pour tenir le coup. En tout cas, c'est vrai pour la première semaine, car après tu t’habitues au concept et tu prends le rythme. Il n'est pas tout à fait exact de dire qu'être novice n'est pas un problème... car tu galères vraiment ! Un minimum est requis. Et quand tu vois les autres y arriver et réussir, tu te mets la pression et c'est difficile... Il faut être très fort psychologiquement pour t'en sortir ! Quand tu vois arriver ceux qui ont déjà fait 2 ans d'Epitech, t'es dégoûtée... mais l'écart se resserre très rapidement car à 42, on apprend beaucoup et très vite! Il y a une bonne ambiance de partage entre les participants mais les néophytes en informatique ont tout de même de la peine par rapport à ceux qui ont deux ou trois années de pratique en ayant appris à coder, alors qu’au départ Xavier Niel disait qu’il n’y avait pas besoin de connaissances particulières en informatique. Sur le plan des statistiques : il y a pas mal de zéros.

Laurène : Oui bien sûr ! De nombreux nageurs complètement novices au départ ont été admis au terme de l’épreuve. Rien n’est facile à la piscine, mais si on travaille régulièrement et avec persévérance, on s’en sort ! Surtout qu’on travaille en groupe et qu’on peut tous s’aider les uns les autres.

Les filles étaient plutôt rares à la « Piscine ». Tu as trouvé ça handicapant ou ça t’a plutôt aidée ?



Camille : Je pense qu'un fille apporte une autre manière de penser, de réfléchir, de voir les choses. Essentiellement, un regard différent. La participation des femmes est d’environ 2 sur 100 ! J’étais à la toute première piscine, et il est vrai que je n’ai pas vu beaucoup de filles. Nous étions 3 filles sur les 1000 candidats de juillet et 30 filles sur les 4000 candidats si mes souvenirs sont bons ! [..] en ce qui me concerne, je n’aime pas et je ne m’entends pas avec les filles, donc c’était parfait. Si cela avait été l’inverse, je ne me serai sans doute pas lancée dans cette aventure. Un avantage ? Oui, je pense. Surtout si tu es jolie, ça peut aider, en tout cas au début pour lancer les contacts. Après, la compétition revient assez rapidement et ce sont tes compétences qui prennent le dessus. Si tu es une bombe mais que tu es nulle ou que tu ne bosses pas, alors tu te retrouveras vite seule et larguée. C’est moins le fait d’être une des rares filles qui a été difficile, mais plus d'être la seule Suissesse !

Laurène : Etre une fille à la piscine c’est à la fois un avantage et un inconvénient… Evidemment, les garçons ont rapidement la tentation de courir à notre secours et de nous proposer leur aide. Et en même temps, le milieu de l’informatique est selon moi assez phallocrate, c’est malheureux mais les professions associées souffrent de préjugés tenaces, notamment sexistes. C’est pourquoi les filles sont précieuses à 42, à la fois parce qu’elles représentent un regard différent et donc peuvent apporter une créativité nouvelle et parce que les filles doivent investir plus massivement le milieu de l’informatique si elles ne veulent pas s’en voir exclure complètement.

Je ne sais pas comment encourager leur candidature, c’est une problématique réelle.

Ça drague un peu à 42 ?



Camille : Pas à ce que j’ai pu voir, on est là pour travailler, réussir, se motiver, donner de sa personne, mais plus dans l’entraide de ses camarades et toujours en parlant informatique. On est pas là pour ça, ceux qui sont venus pour ça ont vite déchanté et sont rentrés chez eux. On dort quasiment pas, on se douche quasiment pas, bref ambiance tout sauf romantique et donc propice aux couples. On bouffe du code 20h/jour, on dort sur nos claviers la plupart du temps (même si on a nos sacs de couchage) donc la drague n’avait pas sa place.

Laurène : Oui ça drague à 42. C’est naturel mais aussi assez rassurant en fin de compte car ça veut dire qu’il y a une vie à côté de la piscine et du travail qu’elle demande. Il y a eu quelques amourettes même si les consignes sont strictes au sein de l’établissement à l’égard de ceux qui aurait envie de se laisser aller, seuls ou à plusieurs (cf : règlement intérieur de l’école) !

Beaucoup parlent d’une ambiance camping, colonie de vacances… La cohésion de groupe, c’est indispensable pour réussir la piscine ?



Camille : Oui, l’ambiance fait assez camping car il n'y pas de dortoir, c’est plus que de la proximité, on dort les uns sur les autres. Par contre, l’esprit y est tout autre. Le mot d’ordre est travail et réussite. Si tu restes seule dans ton coin, à 42, tu es foutue. Tu dois être populaire, aller vers les autres, le travail d’équipe est plus que primordial, c’est la clé de ta future réussite. Car chacun connaît un sous-ensemble, c’est comme un puzzle, il faut réunir toutes les pièces. Tu dois savoir et pouvoir gérer tes projets seule et en groupe.

Laurène : C’est vrai qu’il y a vraiment une ambiance colonie de vacances parce que tout le monde est solidaire et aussi parce qu’on a besoin de se lâcher de temps en temps, de rire et de se détendre. La cohésion de groupe est pour moi indispensable. Sociabiliser est très important pendant l’épreuve de la piscine puisque cela représente plusieurs critères de sélection selon le staff pour être admis dans l’école :

- L'évaluation se fait en peer-to-peer (nous devons corriger les autres et se faire corriger par les autres, ce qui implique que l'on doit expliquer ce que l'on comprend et se faire expliquer ce que l'on ne comprend pas par les autres).

- A la fin de la piscine, on doit voter pour 10 candidats et plus on a de votes plus on augmente ses chances d'être admis à l'école

C’est donc important de savoir se faire aimer.

Les troglodytes ont leur chance ?



Camille : ton passé, ton présent et ton futur peu importe d’où tu viens, qui tu es, comment tu en es arrivé là, on s’en fiche pas mal. La seule chose qui importe, c’est jusqu’où es tu prêt à aller, à te donner, à t’investir, etc. C'est vrai que le travail à rendre est parfois un peu excessif... avec le peu de temps qu'on a, tu cours du matin au soir, t'es tout le temps stressée ! La Moulinette passe chaque jour, ainsi que la note de nos camarades et la note du staff. Tu es notée chaque jour de 0 à 20 mais, tu peux ne pas être pris avec un 20 comme être pris avec un 0, car tes résultats importent peu et ta motivation sont pris en compte. Ta marge de progression est essentielle et étant novice, je ne peux que progresser. En bref, si tu vas jusqu'au bout de ta piscine... t'as de grandes chances d'être prise ! Tu peux avoir tous les jours 0, c'est égal.

Le fait de ne jamais répondre aux questions des élèves, est-ce que ça peut s’avérer bloquant, parfois ?



Camille : Oui et non. Au début, il faut s’habituer, c’est frustrant. Mais finalement tu apprends bien mieux en te débrouillant seul. En cherchant sur internet, en discutant avec les autres, en regardant encore et encore les vidéos d’explications. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, non ? En plus, tu es fière d’avoir trouvé toi-même la solution. Peu importe comment tu t’y es prise, le temps que tu as mis, le but final c’est de ne pas avoir abandonné et d’avoir trouvé la solution. Car c’est bien connu lorsqu’il y a une solution (et y’en a toujours une, même si elle n'est pas toujours évidente à trouver du premier coup) c’est qu’en réalité, il n’y avait pas de problème ! Voilà ce qu’il fallait, en fait, démontrer. Plus que de trouver la solution c’est la façon de chercher qui importe. [...] Ils mettent bien en avant la méthode peer-to-peer. C’est vrai que tu dois te démmerder tout seul... mais, ils avaient prévenu que si tu n'étais pas autonome, tu coulerais direct ! Le seul truc, c'est que si tu poses une question au staff, effectivement, ils te répondent juste don't panic ce qui effectivement te fais une belle jambe...

Laurène : Non pas vraiment, car la solution existe toujours quelque part, soit sur internet soit dans la tête d’un autre candidat.

Certains se sont faits prendre à tricher… qu’est-ce qui se passe dans ces cas-là ? Ils sont virés ?



Camille : Je ne vois pas trop comment nous aurions pu tricher. Ou alors, ce sont ceux de la première piscine qui ont parlé à ceux des piscines suivantes. Même si tu parles de l’exercice à rendre, il faut quand même être capable de le rendre. [...]

Laurène : Tricher est un concept particulier à 42. Aller sur Internet, travailler en groupe est normal et ne constitue pas un cas de triche. Est considéré comme triche le fait de reprendre des lignes de code de quelqu’un sans savoir les réexpliquer ou les comprendre. Cela m’est arrivé et dans ce cas là, on a la note négative de -42.

On nous a dit que des entreprises venaient déjà pré-recruter des élèves. C’est vrai ? Tu as déjà croisé des recruteurs ? Qu’ont-ils dit ?



Camille : Non, je n’ai croisé personne. Mais, je sais qu’une entreprise a fait des promesses d'embauche pour un salaire de 45'000 euros minimum aux 1000 premiers élèves qui termineront 42 en 2016. Après, pub ou vent, on verra ça d’ici 3 ans !

Laurène : C’est sûrement vrai mais je n’en ai pas croisés.

Xavier Niel, il est cool pour un milliardaire ?



Camille : J’ai été déçue de ne pas le voir. Je crois qu’il passe une fois par piscine. Je devais soit dormir, soit ne pas être présente sur les lieux ou avoir déjà coulé. J’ai été déçue, c’est vrai, car je m’attendais vraiment le premier jour (surtout que c’était la toute première piscine) à ce qu'il y ait un ruban rouge et à ce que Xavier Niel soit là pour le couper et inaugurer 42 !

Laurène : Oui les étudiants de 42 l’adorent voire le vénèrent, car pour certains, il a apporté la solution professionnelle de la dernière chance ! Chaque fois qu’il se montre à l’école, il est applaudi et acclamé pendant des minutes entières par une foule d’étudiants debout qui ont interrompu leur travail pour remercier leur star et prendre des photos. Ça ressemble un peu à une séance de dédicace.

Finalement, tu as été prise ?



Camille : Oui, mais j’ai directement cliqué sur je ne souhaite pas poursuivre ma formation à 42 (je suis maintenant dans le domaine du social) afin de libérer ma place pour quelqu’un de plus mordu que moi et, qui sait, qui ira jusqu’au bout et terminera brillamment son école. Je n’ai cependant aucun regret. J’ai pu me rendre compte que je n’étais pas Born to code (née pour coder, ndlr).

Laurène : Non je n’ai pas été prise à 42 mais c’est sans regret car j’ai vécu une expérience incroyable. Il me semble que ceux qui ont le mieux réussi étaient ceux les plus motivés et sociaux.

Parmi les "nageurs", quel type de profil te semble avoir le mieux réussi ?



Camille : Evidemment, ceux qui avaient déjà une bonne et grande expérience en code informatique, ceux qui avaient déjà suivi un cursus similaire dans une autre école (et qui changeait uniquement parce que celle-ci était gratuite). Mais ceux qui ont capté rapidement le truc également. Les volontaires, les téméraires, les fous. L’écart se faisait bien ressentir au début entre les pros et les novices mais à la fin de la piscine le retard était comblé. Car un mois de piscine à 42 équivaut à 2 ans dans une école normale puisque 42 c’est 24h/24 et 7j/7.

Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience ?



Camille : J’ai appris plein de choses en informatique, mais également et surtout sur moi. La vie en communauté ne m’était pas indifférente. Mais ce vrai travail d’équipe, en groupe, où tu dois noter les autres et les autres doivent te noter, donne une tout autre dimension à tes projets informatiques. Bref, si c’était à refaire, je le referai avec un immense plaisir. Ce mois m’a mise à l’épreuve : tester ma motivation, découvrir si j’étais prédisposée au développement informatique et si je prenais goût à la méthode 42. Ce fut une véritable expérience ! La chance de ma vie puisque la seule condition était d’avoir entre 18 et 30 ans…(j’en ai 29).

Laurène : Une très grande solidarité. De la fatigue. Quelques pleurs. Beaucoup de rires. De nouveaux amis. Une leçon sur moi-même.

Un grand merci à Camille et Laurène d'avoir pris le temps de répondre à nos questions ainsi que pour les photos. On leur fait une petit bise et on leur souhaite évidemment toute la réussite qu'elles méritent !