Apple : le retour des clones
Par Didier Pulicani - Publié le
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Pourquoi un Mac est un Mac
Depuis que le Mac est Mac, et que Steve Jobs a créé Apple, le concept de machine toute-intégrée n'a pas beaucoup évolué. En 1984, proposer un ordinateur sans système d'exploitation n'avait vraiment aucun sens, et chaque nouveau venu dans le monde informatique y allait de son ingéniosité. Seules quelques exceptions à la règle commençaient alors à fleurir, notamment deux compagnies du doux nom d’IBM et de Microsoft, qui ont alors signé un contrat départageant leurs rôles, d'un côté logiciels et de l'autre, le matériel.
Les clones sont parmi nous depuis toujours !
Malgré cette volonté forte d'Apple, de garder le contrôle sur ses machines, il faut savoir qu'à peine 2 ans après la sortie du Mac, sortaient déjà les premiers clones ! Il s'agissait en fait de cartes mères assez sommaires reprenant stricto sensu les composants du Mac, à une ROM près. En effet, sous ce nom un peu cabalistique se cache un mini-système indispensable (car capable de lancer Mac OS), et dont les sources sont la propriété exclusive d'Apple. A l'époque, la seule solution consistait donc à récupérer cette « puce » sur une machine existant et à la placer dans le clone. Pas très rentable, en effet, même si cela pouvait s'avérer intéressant dans un contexte de recyclage à moindre coût.
Il y a aussi eu les vrais clones, ceux qui fonctionnaient parfaitement et sans l'accord de Cupertino. Une firme brésilienne a même créé un Mac 512 de toute pièce pour un prix bien inférieur. Mais à l'époque, les avocats de Cupertino étaient déjà sur les dents, et la sortie a du être annulée. Copier la ROM est en effet un acte tout à fait illégal, et aucun état ne peut autoriser une telle pratique sans nuire à la propriété intellectuelle.
Ces petits clones de fortune auront donc vu le jour régulièrement jusqu'en 1991, sans toutefois réellement gagner en popularité. Les contraintes étaient telles que le jeu n'en valait souvent pas la chandelle.
Les clones officiels
Mais en 1995, Apple étant au plus mal (7% de parts de marché, du jamais vu !), le CEO de l'époque a décidé de copier la stratégie de Bill Gates, en licenciant Mac OS à une série de constructeurs, triés sur le volet. Ainsi, vont se succéder les Motorola, Radius, APS Technologies, DayStar Digital, ou encore UMAX, qui proposent alors des machines moins chères, moins mignonnes, mais tout à fait convaincantes. Suffisamment convaincantes, en tout cas, pour que Jobs y mette un terme en 97 durant son grand retour. Apple a en effet pris l'habitude de réaliser de bonnes marges sur le hardware, et le business-model logiciel ne suffisait apparemment pas à renflouer les caisses. Mais surtout, iPapy préparait alors en cachette son iMac, et il ne voulait pas voir son succès entaché par des machines toutes aussi performantes mais beaucoup moins chères. Le passage au G3 et à Mac OS X a donc logiquement fini d'enterrer les clones pour toujours, incapables de suivre la cadence avec leur licence en l'état.
L'après clones
Dès lors, les tentatives de clonages ont été réduites à peau de chagrin. Oh, il y a bien eu les anciennes sociétés de « clonage » qui ont tenté de manifester contre Apple, mais rien de bien consistant n'a vu le jour depuis la sortie de Mac OS X. Il existait bien un moyen de faire tourner l'OS d'Apple en virtualisation sur un Amiga à base de G4, mais avec des performances exécrables. On peut également parler des émulateurs PC, comme PearPC, dont la prouesse technique n'a pas su cacher le manque cruel de performances, rendant toute utilisation impossible.
Le passage sous Intel : un nouvel espoir !
Mais en 2006, lorsqu'Apple passe sous Intel, c'est une petite révolution. Les machines fournies aux développeurs sont de vrais PC avec un BIOS (le progrmme interne) très classique dans le monde Windows. Les utilisateurs se sont donc mis à rêver d'un PC pouvant faire tourner Mac OS X, aucune barrière technique n'étant alors mise en place par Apple, alors que la version Pentium du système était enfin de sortie.
Les pirates à l'abordage !
Mais lorsque les premiers Mac Intel ont été disponibles, les espoirs ont commencé à retomber. Apple avait entre temps bien protégé ses Mac, grâce à un EFI (le successeur du BIOS) très récent, que même Windows ne supportait pas. Les pirates ont donc mis un moment avant de pouvoir installer Mac OS X sur un PC classique, car la tâche n'était pas de tout repos. (Amusant paradoxe, il était alors tout aussi difficile d'installer Windows sur Mac !)
Rapidement, Apple a joué au chat et à la souris avec les hackers et il fallait tout recommencer à chaque mise à jour. On ne sait pas si la Pomme a revu à la baisse les moyens mis en œoeuvre pour contrer ce piratage, ou bien si les pirates ont commencé à se faire la main (notamment grâce à Darwin, la partie OpenSource de Mac OS X), toujours est-il que des solutions sont toujours maintenues à jour afin de pouvoir installer l'OS d’Apple sur n’importe quel PC, à condition de limiter le matériel à celui supporté par Cupertino dans ses machines standards.
Dell reclame OSX
Dans le même temps, on a vu plusieurs constructeurs réclamer littéralement Mac OS X à Apple ! Dell en tête, l'objectif était de vendre du Mac sans Mac, au même titre que du Windows. Mais chez Mr Jobs, lorsqu'une décision a été prise, on n'aime pas beaucoup revenir dessus. Ainsi, il n'est toujours pas envisagé de licencier Mac OS X pour l'instant. A la place du grand gourou, on ne saurait faire mieux : Apple ne cesse de grignoter des parts de marché et une telle décision n'aurait que peu d'intérêt dans le contexte actuel.
Une procédure peu grand public
La mèthode consistant à installer Mac OS X sur PC est donc encore complexe et à réserver à un public averti. Seuls quelques geeks tentent le coup et aucun réel impact n'a pour l’instant été observé. La plupart du temps, il s'agit plus de curiosité que d'autre chose. Il faut dire que le système n'est pas toujours parfaitement stable, et la reconnaissance du matériel vraiment aléatoire. Même si en Chine, on arrive a trouver des CD de Mac OS X86 certifiés « pour PC », la pratique ne restera que très marginal tant qu'un grand constructeur n'aura pas osé prendre les devants et surtout, assurer un support efficace.
Le phénomène Psystar
A la mi-avril, un constructeur relativement peu connu -Psystar- a réalisé un joli coup de pub en proposant OpenMac. Il s’agit d’un PC certifié Mac OS X. En clair, la société confirme à l'utilisateur que Mac OS X fonctionnera à merveille, en proposant même de l'installer gratuitement pour tout achat de licence.
Mais comment est-ce possible ?
D'un point de vu technique, le constructeur utilise tout simplement les programmes pirates contournant les protections d'Apple. Les auteurs ne sont d’ailleurs pas très heureux de la méthode et n'ont pas hésité à le faire savoir.
Et... c'est légal ?
Du côté d’Apple, la chose est plus délicate. La licence d'utilisation interdit en effet l'utilisateur d'installer Mac OS X ailleurs que sur un Mac, et c'est là que réside une certaine ambigüité. En tant que tel, le logiciel et le matériel sont deux choses bien distinctes, et les lois ne sont pas très claires sur le sujet : dans quelle mesure un constructeur peut-il interdire l'installation d'un de ses logiciels sur une plate-forme qu'elle ne supporte pas ? C'est sur cette petite subtilité que le constructeur Psystar veut notamment jouer.
Le problème de la vente liée
Mais un problème plus global fait aussi son apparition : la vente liée. Interdite en Europe et dans de nombreux pays, deux produits vendus ensembles, doivent également pouvoir être achetés séparément, au risque de qualifier la pratique de vente forcée. Mais la encore, la loi n’est pas très claire. Pour certains produits, la pratique est tolérée. Jusqu'alors, pour tous les appareils munis d'un système d’exploitation propriétaire, comme les téléphone, PDA ou les ordinateurs (voire même, par exemple, votre autoradio !) n'étaient pas inquiétés, dans la mesure où l'impact de la vente liée ne nuisait pas à l'utilisateur. Les constructeurs se justifiaient notamment par le fait que le matériel ne pouvait fonctionner sans son logiciel et il ne s'agit donc pas, à proprement parlé, de vente liée.
La vente liée en informatique
Mais avec les ordinateurs, la chose est un peu différente. Les machines sont désormais totalement dissociables des OS et inversement. Et si Windows se retrouve pourtant, comme Mac OS X, disponible à la vente, il est rare de pouvoir acheter, au contraire, un PC de grande marque (comme Apple, HP ou Asus) sans l'OS qui l'accompagne. Des procès commencent donc à émerger sur le sujet et des particuliers obtiennent ponctuellement gain de cause, notamment en France.
Quel rapport avec Apple ?
La société de Cupertino pourrait en effet ne pas être légalement dans la mesure d'obliger les utilisateurs à n'installer son logiciel uniquement sur ses propres machines. Cette portion de licence, qui a surtout une vocation de support, ne serait en rien contradictoire avec l'offre de Psystar. Petit exemple : Michelin ne pourrait pas interdire à Renault de conseiller ses utilisateurs vers des pneus Michelin, dans la mesure où ces pneus sont en vente libre et peu importe ce qu'en dit Michelin. La responsabilité incombe donc à l'utilisateur, qui prend le risque d'utiliser un matériel non supporté par un des partis. Et en parallèle, Renault n'a-t-il pas pour autant le droit de livrer des voitures avec des pneus Michelin ?
La plus grosse arme juridique d'Apple reposait depuis toujours sur la propriété intellectuelle, comme du temps de la ROM Mac. Mais les systèmes de contournements sont à ce niveau, a priori assez en règle, dans la mesure où ils contournent la protection via rétro-ingénierie, sans toucher à Mac OS X. Ce serait un peu comme adapter les essieux Renault aux pneus Michelins, pour reprendre notre exemple. Evidemment, la bataille juridique trouvera certainement d'autres armes, plus malignes. Apple pourrait par exemple, estimer que cette alternative rende son logiciel instable et porterait atteinte à son utilisation.
Le début des clones ?
Comme toujours lorsqu'une loi est floue, le problème est toujours de défricher, et d’être la première cible des avocats. Le contexte Psystar est de ce fait très intéressant : si par chance, le constructeur obtenait gain de cause, ce serait une brèche offerte aux concurrents, comme Dell, qui n'hésiteraient alors plus beaucoup à s’y engouffrer. Dans une telle situation, le plus amusant serait d'imaginer la réaction de Steve Jobs, obligé par les tribunaux de louer son bébé à la concurrence et finalement forcé de le rendre plus compatible.
Avec un peu de recul, plus les parts de marché d’Apple vont augmenter, plus il va être difficile à la Pomme d'avoir une offre matérielle suffisamment complète. La demande de clonage risque de se faire de plus en plus pressante, voire de devenir inévitable. Du côté des serveurs, par exemple, il serait vraiment agréable de faire fonctionner Leopard sur des machines plus adaptées aux besoins des entreprises. Le secteur professionnel - qu'Apple vise tout particulièrement - risque en effet d'avoir bien du mal à se satisfaire de la gamme très limitée proposée sur l'AppleStore.