Nouveau CarPlay : une usine à gaz qui pourrait décourager les constructeurs
Par Didier Pulicani - Publié le
l'ancienCarPlay continue d'évoluer très légèrement avec iOS 18, la prochaine génération a refait parler d'elle durant la WWDC 2024, avec une vidéo de démonstration des interfaces (voir notre billet), se voulant rassurante sur les moyens mis en place par Apple pour poursuivre le développement de sa solution.
Il est vrai que depuis la présentation de ce système en 2022, aucun véhicule n'a encore adopté ce
CarPlay Nex-Gen, et l'annonce des partenariats se cantonne encore à quelques rares constructeurs premium, citons Porsche et Aston Martin, bien loin des grands groupes généralistes.
CarPlay 2.0 va remplacer le système intégré
Les démos basées sur des images de synthèse, c'est bien, mais ce qui nous intéresse, c'est aussi la partie technique : comment va réellement fonctionner ce nouveau CarPay ? Est-il uniquement basé sur l'iPhone ou sera-t-il préinstallé dans le véhicule ?
Aujourd'hui, CarPlay n'est qu'une réplication de l'iPhone sur l'écran de la voiture, un système
simpleà mettre en place, qui vient juste se superposer partiellement sur un système embarqué - le constructeur garde la main sur les fonctionnalités du véhicule, comme les compteurs, la climatisation, les sièges chauffants... Le véhicule se contente de fournir quelques données, comme le GPS ou le retour tactile, même si quelques uns (comme Porsche) ont implémenté des contrôles de la climatisation par exemple.
Avec le nouveau CarPlay, Apple veut aller plus loin, en remplaçant les compteurs de vitesse, en permettant d'ajuster tous les paramètres de la voiture, y compris la ventilation, les sièges chauffants, la consommation, les itinéraires, les phares... Bref, tout y passe !
On se rapproche en fait d'Android Automotive, à ceci près que le système de Google est natif sur la voiture, il remplace presque intégralement celui du constructeur, qui se contente d'en adapter les interfaces -en réalité, il est souvent hybridé, avec une partie propriétaire, comme pour les compteurs de vitesse par exemple. Mais impossible pour le client de se passer d'Android Automotive, tandis que le nouveau CarPlay, lui, reste facultatif, et c'est bien cela qui risque de poser problème pour les constructeurs, comme on va le voir.
Une architecture sans-fil en partie locale
Lorsque vous ouvrez la porte de la voiture, avec l'iPhone dans la poche, ce dernier va donc commencer à se connecter au véhicule sans-fil. En fait, le nouveau CarPlay a absolument besoin du WiFi pour capturer les données et les flux vidéos.
Comme je le soupçonnais, il y a bien une partie locale, certes restreinte, mais un petit système va bien tourner sur la voiture. Il affichera toujours les compteurs de vitesse, les clignotants, les comptes-tours (pour le thermique) ou encore l'odomètre. Une partie des ADAS et des voyants est également concernée, sécurité oblige. Cela permet à la voiture d'avoir toujours un affichage minimaliste mais nécessaire à la conduite, qui ne dépendent pas de la connectivité de l'iPhone.
Imaginez que l'iPhone reboot, que la connexion ne démarre pas assez rapidement... Bref, les aléas de la connectivité : vous pourrez toujours conduire votre véhicule, qui sera alors géré par la voiture directement.
Apple propose des styles prédéfinis aux constructeurs, avec possibilités de personnalisation, mais toujours dans le thème général. D'ailleurs, il n'est pas possible de changer la police, le fameux
San Franciscocher à la firme de Cupertino.
Des flux vidéos 4K60FPS en WiFi, vraiment ?
La partie qui m'intrigue le plus dans cette architecture, c'est bien la centralisation des flux vidéos sur l'iPhone.
Vous l'avez compris, la voiture va envoyer les données de conduite, de consommation, de GPS etc. au téléphone, qui va ensuite faire sa petite cuisine et générer les interfaces, transmises via des flux vidéo en WiFI.
Aujourd'hui, les véhicules embarquent des dalles très bien définies, il n'est plus rare d'avoir un ou plusieurs écrans 1080 ou 4K dans la voiture par exemple. Il faut donc imaginer que l'appareil sera capable de générer les images et les envoyer à la voiture en temps réel, à 60FPS, sur l'ensemble des moniteurs.
Evidemment, il s'agit d'écrans tactiles, et lorsque l'utilisateur ira régler ses paramètres de climatisation ou changer son trajet, l'iPhone devrait lancer de nouvelles apps, adapter l'affichage... bref, comme sur un ordinateur dont les écrans seraient connectés en WiFi.
Plutôt que d'embarquer un système natif dans le véhicule, avec une puce M1 par exemple, Apple préfère donc gérer toute l'intelligence depuis le smartphone, un pari assez risqué sur le plan des performances. Ceux qui utilisent déjà CarPlay au quotidien savent à quel point l'appareil a du mal à tenir la charge en voiture : pour peu que l'iPhone soit en train de se recharger (indispensable ici), surtout sans fil, il n'est pas rare que ce dernier surchauffe, et on ne parle ici que d'un simple CarPlay en réplication d'écran ! Alors imaginez la même chose avec 2 ou 3 écrans 4K en WiFi...
Beaucoup de travail pour les constructeurs
Du côté des constructeurs, il va donc falloir construire ses propres interfaces avec les briques fournies par Apple.
En fonction des options, des paramètres, des tailles d'écran, les UI vont donc évoluer, et chaque constructeur devra alors réaliser un travail d'intégration assez important, mais similaire à ce qui se fait déjà sous Android Automotive.
Problème, si le client n'a pas d'iPhone... il n'y aura pas de CarPlay ! Vous me suivez ? Il va donc falloir réaliser le travail deux fois : une intégration pour CarPlay et un second OS pour les utilisateurs Android ou ceux qui n'ont pas de smartphone.
Histoire d'accélérer la mise en place, Apple a également prévu que les constructeurs puissent être un peu feignants, et ne souhaitent pas adapter 100% des fonctionnalités à CarPlay, du moins, dans un premier temps. Voilà pourquoi un mode
punch-throughva leur permettre d'aller placer des interfaces maison (
moches, donc ^^) au milieu de CarPlay. Apple prend l'exemple d'une caméra de recul, qui serait compliquée à gérer depuis CarPlay -il faudrait capturer le signal vidéo et le renvoyer dans l'interface... ce qui risque de créer de la latence, impensable lorsqu'on fait une manoeuvre.
En pratique, ce mode
punch-throughsera aussi utilisé pour les interfaces trop spécifiques, par exemple le mode
trackd'une voiture de sport offre souvent de nombreux paramètres qu'il serait long et coûteux d'adapter dans CaPlay -et sans doute peu utile, vu le public restreint. Si vous avez des réglages de massages de sièges un peu exotiques, ou des odeurs artificielles, comme chez Mercedes, on imagine que les constructeurs préféreront utiliser leurs propres interfaces. Il faut aussi comprendre qu'Apple ne fournit sans doute pas 100% des interfaces possible, il y a certainement ici un nivellement par le bas.
Un scepticisme ambiant justifié
Comme on a pu le voir, ce nouveau CarPlay ressemble surtout à une évolution plus globale du modèle actuel : l'iPhone reste au coeur de l'action, et il n'est pas question pour Apple d'aller installer durablement un système complet dans les véhicules.
Ce choix d'architecture va donc obliger les constructeurs à réaliser deux fois le travail, on pourrait même imaginer avoir Android Automotive d'un côté, mais qui soit capable de se faire remplacer par le nouveau CarPlay ! Cela permettrait effectivement aux constructeurs de ne pas choisir entre les deux, mais imaginez le travail avec deux intégrations en parallèle -et les coûts qui en découlent.
Aujourd'hui, les fabricants n'ont que deux options : soit développer leur propre OS, soit utiliser Android Automotive. Il même possible de combiner les deux, comme chez Stellantis ou Ford, avec un Android Automotive sans les services de Google, mais avec des logiciels 100% maison. Enfin, l'ajout d'un CarPlay/Android Auto traditionnel reste une option, que certains ont déjà choisi de refuser (Tesla, Rivian, GM...). Il faut dire que sur une Model 3 par exemple, CarPlay n'a que peu d'intérêt, la plupart des apps embarquées sont déjà là (itinéraires, Apple Music, Spotify....)
Lorsqu'on observe l'état des OS actuels, comme récemment sur le Volvo EX30 ou le Peugeot 3008 pour ne citer qu'eux, avec de nombreux bugs à la clef et une intégration parfois à la va-vite du software, qui peine à être corrigé en OTA, on se dit que l'ajout de ce nouveau CarPlay sera surtout vécu comme un coût supplémentaire, bien difficile à justifier.
Pour autant, si ce CarPlay 2.0 est bien adopté par les utilisateurs, bien intégré par les premiers constructeurs et que l'expérience générale se montre réellement au dessus de ce que proposent les ténors du marché (Tesla, Rivian, Android Automotive...), la public peut aussi avoir son mot à dire, comme cela a été le cas pour les marques qui refusaient CarPlay dans un premier temps (comme chez Toyota, Honda...) avant de se raviser devant la pression des clients. L'idée d'Apple est aussi d'homogénéiser les UI entre les véhicules : si vous changez de marques, vous aurez toujours les mêmes interfaces à quelques légères différences près.
Pour tout vous dire, j'aurais préféré qu'Apple propose un véritable concurrent d'Android Automotive, qui tourne nativement dans le véhicule, avec des interfaces de programmation faciles à adapter -une sorte de carOS finalement, qui semble avoir pourtant été développé pour l'Apple Car. Ici, j'ai l'impression que les équipes de Cupertino ont préféré éviter tous les problèmes liés à l'hétérogénéité du parc pour se concentrer sur un modèle purement
remote, centralisé autour de l'iPhone, avec tous les aléas inhérents aux contraintes d'appareils non ventilés, limités en puissance et surtout, qui ne sont pas dédiés à un affichage automobile. Sacré challenge !
Apple va-t-elle réussir son pari ? Réponse... d'ici la fin de l'année pour la présentation du premier modèle compatible !