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Trop sécurisés, nos smartphones nuiraient gravement aux enquêtes de police

Par Didier Pulicani - Publié le

Cyrus R. Vance Jr., procureur du district de Manhattan, François Molins, procureur à Paris, Adrian Leppard, Commissaire à la Police de Londres. Javier Zaragoza, procureur de la Haute-Cour d'Espagne, signent aujourd'hui une tribune dans le New York Times, à la fois courte et très accessible, décrivant la problématique créée par la sécurisation à outrance des smartphones modernes.

Les révélations sur la NSA ont récemment poussé Apple et Google à proposer -souvent par défaut- une protection quasi inviolable de leurs téléphones. Depuis iOS 8 et les dernières versions d'Android, la Pomme serait dans l'incapacité de répondre aux différentes demandes gouvernementales pour déplomber des appareils contenant des données indispensables au bon déroulement de la justice. En réalité, la procédure est un peu plus complexe : il est toujours possible de décoder un smartphone moderne, mais cela prend du temps (parfois plusieurs mois, voire des années) et nécessite souvent un trop grand nombre de ressources au regard des informations éventuellement collectées. (Dans le milieu underground, circulent d'ailleurs certaines failles ou certaines techniques fonctionnelles -qui nécessitent parfois du matériel extrêmement cher- pour venir à bout de certains OS et certains modèles de téléphone). Après l'affaire des écoutes américaines, les constructeurs -accusés d'être un peu trop laxistes avec les services secrets- ont logiquement souhaité renouer la confiance avec leurs clients, qui y voient ici la preuve implacable que Tim Cook et Larry Page ont tenu leurs engagements.

Trop sécurisés, nos smartphones nuiraient gravement aux enquêtes de police


En juin, le père de six enfants a été abattu un lundi après-midi à Evanston, une banlieue à 10 miles au nord de Chicago. La police d'Evanston pense que la victime, Ray C. Owens, avait également été cambriolée. Il n'y avait pas de témoins de son assassinat, et pas de vidéo de surveillance. Avec un tueur en liberté et peu de preuves à leur disposition, les enquêteurs du comté de Cook, qui comprend Evanston, ont retrouvé espoir quand ils ont trouvé deux smartphones le long du corps de la personne décédée : un iPhone 6 fonctionnant sur iOS 8 -le système d'exploitation d'Apple- et un Samsung Galaxy S6 avec le système d'exploitation Android de Google. Les deux appareils ont été protégés par un code.

Un juge de l'État de l'Illinois a délivré un mandat ordonnant Apple et Google de débloquer les téléphones et de partager avec les autorités des données qui pourraient résoudre les assassinats. Apple et Google ont répondu, en substance, qu'ils ne pouvaient pas - parce qu'ils ne connaissent pas le mot de passe de l'utilisateur.

L'homicide demeure non résolu. Le tueur est toujours en fuite.


Ces exemples se compteraient par dizaines, selon les intéressés et toucheraient tout autant le grand banditisme et le terrorisme. Si rien ne dit que les téléphones auraient pu aider l'enquête, rien ne prouve non plus que les appareils ne contiennent pas toujours des données essentielles à l'arrestation du criminel. C'est en substance ce que déplorent ces différents responsables, qui jugent l'attitude d'Apple et de Google irresponsable. Pour eux, un juste milieu n'a pas été trouvé, et le chiffrage complet des disques de ces appareils posent de vrais problèmes de sécurité.

Trop sécurisés, nos smartphones nuiraient gravement aux enquêtes de police


Si la Silicon Valley s'est exprimée à de multiples reprises sur le sujet, en se montrant inflexible face à une justice bien impuissante, la réponse politique commence à prendre forme. L'idée que des portes dérobées soient incluses d'office dans les appareils refait surface et inquiète. En face, Apple et Google doivent pourtant trouver une solution sur le long terme, car si la justice arrive à prouver régulièrement que les criminels plébiscitent ces smartphones pour leurs activités, le sort de la veuve et de l'orphelin pourrait finir par avoir raison de la belle image de Robin Des Bois de la vie privée. Les différents procureurs précisent qu'il règne d'ailleurs une certaine confusion dans l'esprit des gens : la justice ne procède jamais à des écoutes de masse, qui reste une domaine propre du renseignement. Ils n'expliquent toutefois pas comment un iPhone pourrait être lu pour les besoins de l'enquête d'un côté et se montrer imperméable à la CIA de l'autre.

Reste enfin l'éminent problème du respect de la vie privée auquel de tente de répondre ces grands groupes américains. Même s'il fournit consciencieusement ses informations personnelles toute l'année à Facebook, Google et Apple, l'utilisateur déteste par dessus tout savoir qu'il pourrait être écouté, même après coup, par les agences gouvernementales. Surtout si on lui dit que c'est pour son propre bien.

Et vous, que pensez-vous de cette situation ? Apple doit-elle plier face aux besoin de la justice ? Doit-on considérer toute donnée privée inviolable ?