Le déclin de la qualité des logiciels d’Apple
Par Nicolas Sabatier - Publié le
Un matériel au top
Nous avons la chance de vivre, en ce moment, un nouvel âge d’or au niveau du matériel chez Apple. Que ce soit les nouvelles puces M4, les MacBook Pro qui retrouvent un port HDMI, un lecteur de cartes SD et un clavier qui fonctionne, un Mac mini de gala et des iPhone et iPad toujours de bonne qualité. Cependant, nous ne pouvons pas faire le même constat en ce qui concerne les applications natives.
Quand Steve Jobs présente le tout premier iPhone, il se moque de la concurrence qui propose des “baby apps” sur leurs smartphones alors que l’iPhone fera tourner de vraies applications grâce à son système tiré de Mac OS X. Il enfoncera le clou à plusieurs reprises, utilisant les expressions “baby software” ou traitant les logiciels de la concurrence de “cripple” ou handicapé.
Malheureusement, il semble aujourd’hui que les critiques de Steve Jobs peuvent aujourd’hui s’appliquer aux logiciels natifs fournis par Apple.
Apple Seal of Quality
Dans la foulée de la sortie de Mac OS X au début des années 2000, Apple se met à développer ses propres logiciels grand public afin de ne plus être trop lié à Microsoft. C’est ainsi que sont nés le navigateur Safari, la suite de logiciel iLife (iPhoto, iMovie, iDVD, GarageBand et iWeb) et iWork (Keynote, Pages et Numbers).
À l’époque, iLife faisait la fierté d’Apple, iWork un peu moins. Les utilisateurs de Windows étaient souvent surpris par la qualité et la facilité d’utilisation des applications disponibles sur Mac. Je suis passé pour un génie auprès de mes proches quand j’ai créé un DVD, avec un menu dynamique, pour la naissance de mon premier enfant en utilisant iDVD. De même, les personnes créant des diaporamas avec Keynote étaient souvent félicités pour la qualité de leur travail. Aujourd'hui, pratiquement plus personne n'utilise le logiciel de présentation d'Apple tellement il a été dépassé par ses concurrents.
Les logiciels faits par Apple avaient pour spécificité d’être très faciles à utiliser tout en étant presque aussi puissants que la concurrence. Nous pouvons prendre comme exemple iMovie qui était très simple d’utilisation mais permettait de faire du montage de qualité. Cependant, il a été tellement modifié qu’il en devient méconnaissable. Rappelons, par exemple, le tollé lors de la sortie de la version 08 qui était tellement moins bien que la version précédente, qu’elle a été remise en ligne.
Comme le montre l’exemple d’iMovie, il semble que la simplification a pris le pas en oubliant la profondeur.
Des applications à la qualité discutable
Je me suis rendu compte que je n’utilise pratiquement aucune application développée par Apple. Que ce soit mon navigateur, mon gestionnaire de calendrier, de lecteur de podcasts, de musiques, de gestionnaire de mails, de gestionnaire de notes (et encore je trouve que l’application Notes est de bonne facture) et j’en passe, j’utilise à chaque fois une application tierce. Et cela, que ce soit sur Mac ou sur iPhone.
Pire que cela, la plupart des applications estampillées Apple sont en retard sur la concurrence. Prenons quelques exemples.
Homekit ne propose pas assez d’options pour être utile. Il est, par exemple, possible de sélectionner la température du chauffage mais pas la vitesse de ventilation, ni sa direction. De plus, l’automatisation reste inexistante. J’aimerais pouvoir lancer automatiquement mon ballon d’eau chaude quand le soleil brille et permet à mes panneaux photovoltaïques de générer de l’électricité. Aujourd’hui, impossible de l’automatiser avec Homekit qui pourrait récupérer les informations de la météo.
Livres n’a pratiquement pas évolué depuis sa création sous Steve Jobs. Tout semble fastidieux à faire, que ce soit la gestion des PDF ou encore la réorganisation des fichiers. Apple semble avoir jeté l’éponge face à Amazon.
Pourquoi l'application Santé ne se trouve pas aussi sur Mac ? Ensuite, il est très compliqué de partager ses données avec le corps médical. Malheureusement, l’application Santé ne facilite en rien la tâche. Presque personne dans le corps médical a des matériels compatibles.
Reparlons de iMovie. Non seulement l’application s’est terriblement simplifiée au fur et à mesure des années mais elle est aussi passée totalement à côté de l’essor des réseaux sociaux. Avec une demande forte de vidéo sur YouTube, Instagram, TikTok et autres, iMovie avait un boulevard pour s’imposer. Au lieu de cela, Apple sort à la va-vite l’application Clips qui, aussitôt sortie, est aussitôt oubliée par tous, Apple en premier.
Comme l’application Santé, l’application Apple Music Classical, spécialisée dans la musique classique, n’est pas disponible sur Mac. Elle ne permet pas de télécharger ses morceaux favoris en local et comme pour beaucoup d’applications, semble à l’abandon depuis sa sortie. Pourquoi ne pas proposer un accès à des vidéos de concert exclusives (avec, on peut rêver, une version pour Apple Vision Pro) ? Voire des directs ? Le marché existe et il a un portefeuille bien garni…
L’application Contacts elle aussi semble ne pas avoir évolué depuis sa création. Elle manque de fonctions avancées comme les tris par date d’ajout. Elle est tellement laissée à l’abandon que la concurrence l’a bien senti. Les créateurs de Fantastical ont lancé CardHop tandis que les créateurs de BusyCal proposent BusyContacts.
Dernier exemple : l’application Dictaphone qui ne propose toujours pas de transcription automatique.
Bref, vous l’avez compris, presque aucune application Apple grand public ne mériterait pas un sérieux nettoyage de printemps. Pourquoi devrions-nous nous contenter de ces “applications paralysées" alors qu’Apple a les moyens d’offrir bien plus ?
Pourquoi une telle baisse de qualité ?
J’évite le plus possible d’invoquer Steve Jobs car je trouve qu’il est trop souvent sanctifié et utilisé comme excuse pour les manquements récents d’Apple. Personne ne peut dire ce qu’il aurait fait. Cependant, il me semble qu’un point important doit être souligné : personne au sein d’Apple n’a pu remplacer son rôle dans son sens du détail. Quand un logiciel ou un matériel ne se comportait pas comme il voulait, il faisait une critique (généralement assez acerbe) et le problème était réglé dans la foulée. Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un au sein d’Apple aujourd’hui capable d’avoir ce rôle.
Une autre raison est le besoin d’une sortie annuelle. Il faut que les systèmes et les applications soient prêts pour la nouvelle version en fin d’année, qu’importent les bugs et autres problèmes. Le marketing est le moteur du développement : il faut chaque année que des fonctionnalités nouvelles soient annoncées et prêtes pour une sortie en septembre/octobre. Ce qui a un effet néfaste sur la qualité. Techniquement, nous n’avons pas besoin d’un nouveau système d’exploitation chaque année. C’est d’autant plus difficile qu’Apple travaille sur plusieurs OS simultanément, chacun ayant une mise à jour annuelle au même moment : macOS, iOS, iPadOS, tvOS, watchOS et j’en oublie. En ajoutant des fonctionnalités, cela ajoute aussi des bugs. Résultat : au bout de plusieurs années, ils s’accumulent.
Apple force les applications à démontrer les nouvelles fonctionnalités du dernier système, ce qui ne laisse pas le temps au débogage. Le passage de AppKit à SwiftUI a aussi fait des dégâts. Par exemple, les Réglages Système, depuis son passage à SwiftUI, sont une aberration au niveau de l’interface.
Autre souci qui prend de l’ampleur : certaines applications ne sont pas développées en continu. Elles donnent l’impression qu’une équipe s’en occupe quelques mois, le temps d’ajouter de nouvelles fonctionnalités et de les mettre à jour pour une nouvelle version de système, pour qu’elles soient abandonnées pendant des années. Et le processus se répète. Comme si Apple n’avait pas assez de développeurs en interne pour tout faire. Ceci peut s’expliquer par la concurrence accrue entre les différents acteurs de la Silicon Valley qui s’arrachent à prix d’or les meilleurs développeurs. De plus, Apple est connue pour moins bien payer ses développeurs et pour être moins flexible sur le travail à distance. Ce qui est d’autant plus problématique avec le prix exorbitant des loyers dans la Silicon Valley. Cela peut expliquer aussi les acquisitions d’entreprise qui parfois sont des acqui-hire : des acquisitions afin uniquement de récupérer des talents. Peut-être serait-ce le cas pour l’achat de l’équipe derrière Pixelmator ?
Qu’importe : tout cela donne aussi l’impression qu’Apple laisse les développeurs de l’App Store s’occuper des manques, que cela soit la stratégie ou non. Cela rappelle le lancement d’Apple Maps : Tim Cook s’était excusé puis avait déclaré que les clients d’Apple pouvaient aussi utiliser Waze ou Google Maps.
Une autre raison qui peut être avancée est la difficulté croissante à développer des logiciels au fil du temps. Les systèmes deviennent de plus en plus sophistiqués, intégrant souvent des services en ligne et utilisant de nombreuses bibliothèques, qui peuvent elles-mêmes s'avérer difficiles à manipuler et entraîner des bugs. À cela s’ajoutent les défis liés à l’agrandissement des équipes de développement, brillamment analysés dans le livre The Mythical Man-Month. D'ailleurs, ce livre donne un exemple devenu mythique dans le milieu du développement : un chef de projet est quelqu'un qui croit que neuf femmes peuvent faire un bébé en un mois.
De manière générale, j'ai l'impression qu'Apple a choisi de ne plus rivaliser directement avec les géants du logiciel. Au début des années 2000, la société s'efforçait de proposer des alternatives sérieuses aux logiciels développés par Microsoft, Adobe, Macromedia et autres. Aujourd'hui, cela ne paraît plus être le cas : les ambitions sont clairement à la baisse.
Des mises à jour constantes à cause d’Internet
Nous avons vu que les mises à jour incessantes ajoutent de la complexité aux applications et systèmes d’exploitation. C’est un problème qui semble, malheureusement, toucher toute l’industrie. En effet, beaucoup se sont alignés sur le calendrier d’Apple avec des mises à jour chaque année, sans compter celles mineures et de sécurité tout au long de l’année. Cela est possible uniquement parce que tout est connecté à Internet en permanence. Cependant, ce n’était pas le cas il y a encore quelques années, quand le développement se déroulait sur plusieurs années, avec beaucoup plus de tests de qualité, permettant de limiter le nombre de bugs.
Apple a bien mis en place un système pour que les utilisateurs puissent communiquer les bugs qu’ils ont trouvés, appelé précédemment Radar et aujourd’hui connu sous le nom de Feedback Assistant. Cependant, tous ceux qui ont eu la joie de pouvoir utiliser ces outils indiquent qu’ils ont l’impression que cela ne sert à rien.
Snow Leopard mon amour
Apple s’était permis, il y a de cela 15 ans, de faire une version de Mac OS X où aucune nouvelle fonctionnalité ne serait ajoutée. Snow Leopard était annoncé comme un système plein de “raffinements” et d’optimisations, notamment au niveau de la vitesse d’exécution, mais sans ajout de premier ordre. Cette version de Mac OS X est devenu légendaire pour les amoureux du Mac qui se rappellent avec bonheur ce système stable et performant (même si Tiger reste mon système préféré).
Je pense qu’Apple devrait s’inspirer de la philosophie derrière Snow Leopard et s’octroyer régulièrement des versions de système de nettoyage. Pourquoi pas tous les 4 ans, proposer une version d’iOS et de macOS qui aura pour seul but de chasser les bugs et d’optimiser tout ce qui peut l’être ?
Merci à notre lecteur Emmanuel pour l’idée de cet article.