Reportage : Gameloft, l'interview vérité
Par Arnaud Morel - Publié le
Cyril Guilleminot, le directeur de Gameloft France nous a ouvert les portes de son entreprise. Ça sentait fort la peinture, d'ailleurs, dans les locaux de l'éditeur, en plein réaménagement mobilier. Cyril aborde avec nous les succès, et les échecs, de sa société, évoque les perspectives d'avenir pour les jeux mobiles, nous donne son sentiment sur la bataille iOS / Android. ET répond aux questions qui fâchent ! Gameloft est-il le copieur que certains dénoncent ? Emploie-t-il des méthodes contestables en proposant des jeux en Freemium ? Mange-t-il des nouveaux-nés le matin ?
Toutes les réponses dans l'interview vidéo ci-dessous, 20 minutes, ou presque, de bonheur et de félicité.
French touch !
Cocorico ! L'un des leaders du jeu vidéo mobile est français. Gameloft est un mastodonte, qui emploie plus de 5400 personnes dans le monde, réalisait, en 2010, 140 millions d'euros de chiffre d'affaires. L'entreprise, fondée à partir d'UbiSoft par Michel Guillemot, et son frère Yves Guillemot, s'est spécialisée dans les jeux pour mobiles. D'abord des jeux java de quelques Ko, puis, à partir de 2008, des jeux pour iOS.
Un grand tournant, se souvient Cyril Guilleminot, directeur de Gameloft France.
L'entreprise, depuis, sort 20 à 40 titres par an sur la plateforme d'Apple, a débarqué sur Android, un marché
très porteuret, plus annecdotiquement, sur FreeBox Revolution.
Sweat Soft ?
Gameloft est une société française, je dirais même plus, bretonne, issue d'Ubi Soft. Mais
beaucoup de nos studios sont à l'étranger, concède Cyril Guilleminot, directeur de Gameloft France. Les mauvaises langues estiment même que l'essentiel du développement s'opère en Chine et en Inde, pour y bénéficier de programmeurs à très bas salaire. Gameloft compte tout de même un studio important à Montréal de plus de 400 salariés, crédité des plus gros succès "core gaming" de l'éditeur. À Paris Gameloft emploie 120 personnes, pour la gestion des projets de développement et le marketing essentiellement.
Gameloft, copieur ?
L'un des griefs les plus couramment reprochés à Gameloft est le fait de copier les succès des concurrents. Et c'est vrai qu'à regarder le catalogue de l'éditeur, on repère des titres s'inspirant franchement de succès consoles ou PC, sans pour autant en être une licence. Alors, Gameloft, copieurs ?
Le monde du jeu vidéo se nourrit toujours des innovations des autres, et ce depuis sa génèse dans les années 80, reconnaît Gameloft. Coupable donc, de s'inspirer, parfois très franchement, de certains hits consoles ou PC, Gameloft estime, cependant, que cette méthode bénéficie aux joueurs.
Certains éditeurs n'ont pas le temps, l'envie ou la compétence d'entrer sur le marché des jeux mobiles, et nous permettons donc à ces genres d'être représentés sur ce marché, estime Cyril Guilleminot. D'accord, mais un peu d'originalité ne nuit pas non plus.
Les filles sont joueuses
Parmi les tendances du marché, que Gameloft est assez bien placé pour déterminer, l'augmentation de l'offre à destination des joueurs occasionnels, l'arrivée de titres spécialement formatés filles, le renforcement du modèle Freemium et la possibilité, qui se généralisera, de jouer avec son iBidule mais sur son téléviseur.
Le jeu sur iOS, d'abord ça a été du core Gaming. Puis, avec l'envolée des ventes d'iPhone et l'arrivée de l'iPad, de nombreux joueurs occasionnels ont débarqué, les fameux
casual gamers.
Ce sont deux publics différents, et nous adaptons nos modes de commercialisation à leurs spécificitésestime Gameloft. Le joueur occasionnel butine l'offre ludique, et il faut limiter au maximum les freins au téléchargement. Le modèle Freemium répond à cette exigence. Le joueur ne paie rien pour télécharger et essayer une version bloquée du jeu. Il peut débloquer des fonctionnalités, ou faciliter la progression dans l'aventure, en passant en caisse.
Il est possible de finir tous nos jeux freemium sans payer, affirme Cyril Guilleminot. C'est sans doute vrai, si l'on fait montre d'une patience et d'une habileté hors du commun. Mais sinon...
Freemium, une tendance qui va se renforcer
L'arrivée de ce modèle Freemium, inauguré par Dungeon Hunter III, ne s'est pas fait sans douleur. L'éditeur a essuyé une bordée de mécontentements de joueurs surpris tant par le mode de commercialisation que par le jeu en lui-même.
Nous avons fait l'erreur de présenter Dungeon Hunter III dans la suite des deux premiers volets, alors que celui-ci était au fond un jeu très différent, résume M. Guilleminot. Depuis, les commentaires sont revenus au beau fixe et Gameloft compte bien continuer à proposer du Freemium.
L'éditeur, en outre, lance des projets spécifiques en direction des joueurs occasionnels, et notamment des filles.
Gameloft, pays neutre
Nous sommes agnostiques niveau plateforme. Notre métier est d'être présent sur les plus importantes. Nous ne sommes ni pour iOS, ni pour Android, ce sont deux marchés que nous adressons de manière égale, précise le directeur.
iOS et Android traités à part égales, mais qu'en est-il du Mac ? Là aussi, Gameloft se félicite d'être présent sur le Mac App Store. Mais n'insiste guère sur ce secteur, pas assez porteur.
Nous proposons une dizaine de titres sur le Mac App Store, précise Cyril Guilleminot
mais on n'est pas du tout sur des chiffres de vente comparables. Les ventes sur Mac sont faibles et le Mac reste le parent pauvre de l'offre de l'éditeur. Pour l'essentiel Gameloft y adapte les jeux iOS, en améliorant légèrement la qualité graphique, mais sans fournir de vrai travail d'adaptation.
Les jeux mobiles condamnés à être des "petits" jeux ?
Si le secteur du jeu mobile connait une progression spectaculaire, il ne rivalise pas encore, niveau revenus, avec les jeux consoles ou PC. Le développement est plus réduit. Ainsi, s'il faut compter plusieurs dizaines de millions d'euros pour développer un jeu console, et deux à trois ans de développement, un gros jeu iOS / Android demande un an de développement et un budget de l'ordre du million d'euros. Conséquence de ces différences, les jeux mobiles sont plus limités que leurs alter égo console, vendus, il est vrai, souvent plus de 10 fois plus chers.
Par comparaison, un jeu java demande 6 à 8 mois et quelques centaines de milliers d'euros.
Sur le secteur mobile, le futur, c'est la convergence entre le petit écran et le grand écran (via une top box, ou une TV connectée), estime Gameloft. L'exemple est bien sûr Modern Combat 3, qui peut, via une AppleTV, être utilisé sans fil sur la télé du salon (et avec fil sans Apple TV). Ce genre d'interactions devraient se renforcer, et se libérer des contraintes.
Et bien sûr des jeux, toujours plus, toujours plus beaux. Et le français promet du lourd. À suivre !