Abonnements : le pari très risqué de Steve Jobs
Par Didier Pulicani - Publié le
Motif de la grogne, cette désormais célèbre commission de 30% prélevée sur chaque transaction réalisée depuis l'application.
I'm a 30% CEO, bitch !s'amusent déjà certains sur Twitter, en référence au film The Social Network. Pour beaucoup, rajoutée à la TVA, elle ne laisse que peu de marge de manœuvre pour proposer des prix abordables tout en conservant de bonnes marges. Apple oblige désormais les éditeurs à proposer cette solution, en plus de l'abonnement externe existant, ce qui force donc, d'une certaine manière, à passer par la case
30%dès que le client désire acheter depuis l'application.
La presse y a cru
La presse traditionnelle va mal, et tente de se refaire une santé sur le numérique. Steve Jobs avait alors débarqué dans les rédactions avec sa tablette l'an dernier, assurant que l'appareil permettra de renouveler les contenus, et de les enrichir, tout en proposant un modèle économique dans lequel le lecteur hésitera moins à bourse délier.
Dès lors, chaque journal a décliné son offre sur iPhone et iPad, proposant la plupart du temps la gratuité du service à ses abonnés actuels. Les nouveaux venus étaient invités, via une page web, à s'abonner depuis l'application, tout en prenant soin de ne pas passer par Apple et ses fameux 30%. Tolérée jusqu'alors, cette pratique n'est plus possible. L'Apple qu'on déteste est de retour, et ferme la porte qu'elle avait laissée très justement entrebâillée.
Tout le débat porte désormais sur ce point : la majorité des lecteurs s'abonne-t-elle via l'application ou via le site du journal ? Si l'on suit la grogne des éditeurs et la petite révolte organisée par la presse ces dernières semaine, l'AppStore offre une visibilité certaine et il y a fort à parier que de nombreux lecteurs proviennent directement de la plateforme. L'argument de Steve, qui consiste à dire
Chacun commissionne le nouveau lecteur qu'il capturea donc du sens, lorsqu'on sait que la croissance est directement imputée au renouvellement de son lectorat. Mais le prélèvement est-il, lui, à sa juste mesure ?
30%, c'est trop !
Et si le problème n'était pas la marge, mais plutôt la hauteur de celle-ci ? 30% de
taxe Apple, associée à 20% de TVA : sur un quotidien proposé autour d'un Euro, l'éditeur n'en touche vraiment que 50%. Cette méthode se répétera d'ailleurs à l'infini, à chaque renouvellement.
Dans l'édition papier, si certains estiment les coûts d'impression et de distribution avoisinant eux-aussi les 30%, la presse dispose dans ce cas d'une TVA réduite (2%), ce qui lui permet de réaliser une marge plus confortable.
Mais pour un service tout-numérique, comme NetFlix, Spotify ou encore Rhapsody, les coûts physiques (inscription, paiement, gestion des comptes) sont quasi nuls. Dans ce cas, les 30% prélevés pèsent alors beaucoup dans la balance, en comparaison d'une abonnement déportés.
Un modèle économique fragile
Que ce soit la presse numérique ou les service de streaming, toutes ces sociétés en sont encore à leur balbutiements. Prenez Spotify ou Netflix, par exemple : ces service de streaming sont encore assez peu rentables. Leur modèle économique se base sur la capitalisation des clients, tout en essayant de minimiser les pertes et d'atteindre péniblement le
break even(une balance nulle entre bénéfices et pertes).
Pour la presse papier, le problème est similaire. Aujourd'hui, aucune grosse rédaction n'est vraiment rentable sur internet. Au mieux, elles ne perdent pas d'argent, tout en recyclant les articles du papier. Les bénéfices générés sur le web permettent de maintenir la plateforme technique, de développer des applications, et, au mieux, de payer quelques journalistes afin de tenir un fil de news.
Concrètement, les modèles d'abonnement proposés actuellement sur iPad et iPhone sont encore loin de représenter la poule aux oeufs d'or que semble s'imaginer Steve Jobs. Si l'on peut comprendre qu'un Spotify ou un Amazon soient vus comme une concurrence directe et inutile, on a du mal à comprendre l'action du CEO d'Apple vis à vis des médias, dont le bilan économique est en baisse perpétuelle depuis plusieurs décennies. Le sauveur de la presse d'il y a un an, donne désormais une image de profiteur, d'une économie au bord de la déroute. C'est l'incompréhension.
Un pari risqué...
En ce début 2011, Apple est en position de force. L'iPad représente 90% des ventes de tablettes, l'iPhone reste la plateforme de prédilection des contenus payants et ses clients sont prêts à dépenser en quelques tapotements.
Seulement voilà, l'arrivée d'Android pourrait changer la donne. Google a toujours joué sur le fait de n'opposer que très peu de restrictions sur son écosystème, qui est en passe de grignoter sévèrement la petite forteresse d'Apple. Certes, il reste encore du chemin à parcourir pour le petit robot vert avant d'atteindre un niveau de qualité équivalent, mais l'adoption en masse d'Android sur les tablettes et les smartphone pourrait avoir raison des développeurs, dont la masse l'emporterait sur la qualité. Tout le monde connait l'histoire de Mac OS et Windows, celle du Betamax et du VHS, les exemples ne manquent pas.
...et déjà des conséquence
Quelques uns ont annoncé ne pas vouloir rester sur l'AppStore. Rhapsody est le premier, Sony risque de ne pas revenir avec son
Reader. Quand à Amazon ou Netflix, il sera intéressant de voir quelle décision va être prise.
Concernant la presse, c'est plutôt du côté de la justice qu'elle trouvera sa voie. En France, les syndicats d'éditeurs sont déjà montés au créneau et pourraient bel et bien obtenir gain de cause, vu les moyens de pression et les lobby engagés. Par ailleurs, les concessions faites par Apple sur ses clients, en proposant, sous conditions, d'envoyer un partie des coordonnées de l'utilisateur, risquent de ne pas suffire, surtout aux USA où ces données personnelles étaient bien plus rentables que la commission prise sur l'abonnement.
D'une manière générale, la Pomme capitalise sur ses acquis et son quasi monopole, persuadée que son modèle continuera de contenter tout le monde dans les années à venir. Si l'avenir lui donne raison, tout le monde devrait y trouver son compte. A l'inverse, si l'on entre dans la demi-mesure, pas sûr que l'ensemble du marché suive la vision universelle de notre cher iPapy.
C'est quitte ou double.