La folie HADOPI
Par Arnaud Morel - Publié le
favorisant la diffusion et la protection de la création sur internetmarque avec force la victoire des lobbies de la musique et du film (à titre principal) sur les libertés et droits individuels dont disposent les internautes. Car, dans le détail des articles modifiés du code de la propriété intellectuelle, c'est un système de contrôle et de surveillance de tout l'internet français qui va se mettre en place, système en outre contrôlé pour une large part par les lobbies de la musique et du disque.
Les pistages effectués par les lobbies des droits d'auteurs
Imaginez un instant qu'on confie les contrôles d'alcoolémie aux ligues anti-alcooliques, vous obtiendrez une idée assez précise de ce sur quoi repose le dispositif HADOPI. La loi met en place une Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) chargée de veiller à la protection des droits d'auteurs, d'observer les offres légales et de réguler les
mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres. L'HADOPI est une autorité administrative indépendante, dont les 9 membres sont nommés par décret.
Mais ce n'est pas cette HADOPI qui se charge de relever les supposées infractions au droit d'auteur sur l'internet. Et non. Ce sont les groupements de défense desdits droits qui en reçoivent le mandat. Sur ce point, les texte de loi est très clair (Art. L. 331-22).
La commission de protection des droits (instance répressive de l'HADOPI, NDR) agit sur saisine d'agents assermentés qui sont désignés par :
- les bénéficiaires valablement investis d'un droit exclusif d'exploitation appartenant à un producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ;
- les sociétés de perception et de répartition des droits ;
- le centre national de la cinématographie.
- le procureur de la République.
En clair, donc, ce sont pour l'essentiel les lobbies du disques et de la musique, et les groupement représentant les professions - aidés sans doute par des sociétés privées du type Media Defender - qui seront chargés de transmettre les adresses IP des supposés fraudeurs. Une garantie, qui en douterait, d'un travail honnête, intègre et respectant la présomption d'innocence. Notez, et ce n'est pas le moindre des paradoxes de cette loi, que les artistes eux-mêmes ne sont pas habilités à saisir l'HADOPI.
Les infractions non susceptibles de contestation
Une fois que votre adresse IP aura été relevée, vous bénéficierez - joie et bonheur - du fameux système de riposte graduée, qui se décompose en trois étapes.
-envoi d'un mail d'avertissement par le biais du FAI
-si renouvellement dans les 6 mois, envoi d'un recommandé.
-si renouvellement dans l'année et selon la gravité de celui-ci : suspension pour une durée de trois mois à un an, ou obligation de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement. HADOPI pourra en outre exiger publication dans la presse, aux frais de l'abonné, de la sanction.
Notez, et c'est absolument remarquable, que les deux premières étapes ne sont pas susceptibles de contestation. C'est l'article L. 331-24 qui vous l'annonce benoîtement :
Le bien-fondé des recommandations adressées en vertu du présent article ne peut être contesté qu'à l'appui d'un recours dirigé contre une décision de sanction prononcée en application de l'article L. 331-25 (en clair que si vous est dans le cadre de la suspension de votre accès, prévu audit article).
Seul donc une mesure de suspension de votre abonnement pourra être contesté ; elle le sera devant le juge judiciaire. Notez que dans le cadre de cette sanction, une possibilité d'accord transactionnel existe entre l'abonnée et l'HADOPI (1 à 3 mois de suspension ou obligation de sécurisation).
3 mois à un an de suspension de l'accès à l'internet
On se résume : les infractions sont constatées par les agents privés d'Universal et d'Europa Corp (oui, ce sont des exemples), les services de l'HADOPI contactent les fournisseurs d'accès qui vous envoient un courrier, puis HADOPI vous envoie éventuellement un recommandé. Et jusque là, vous ne pouvez rien faire, rien contester.
Finalement, votre abonnement est suspendu pour 3 mois à un an : vous continuez à le payer, quand même. La sanction
n'affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l'abonnement au fournisseur du service. Petite précision dans le cadres des services annexes, TV ou téléphonie. Ceux-ci seront toujours fournis. Voilà qui devrait promettre une jolie partie de rigolade pour la mise en place technique de la chose.
L'obligation de sécuriser sa ligne
Dans sa grande sagesse et son immense compétence, le législateur introduit pour l'utilisateur
l'obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'oeuvres ou d'objets protégés par un droit d'auteur.
Car voilà bien le nœud de l'histoire : en permettant un traitement privé et automatisé des supposées infractions, en soustrayant les premiers avertissements à une quelconque contestation, le législateur fait peser une charge bien lourde sur la seule "preuve" dont on peut disposer en la matière, votre adresse IP. Mais quid en cas de piratage de ligne ? Il est à la portée du premier venu de scruter les WIFI accessibles directement ou via un simple attaque en force brute, et il n'est pas à la portée de tout le monde de sécuriser son accès.
Et bien tant pis, le gouvernement a la parade. Vous ne pourrez vous dégager d'une poursuite (et donc d'une suspension d'abonnement) qu'en excipant de votre utilisation de
moyens de sécurisation regardés comme efficaces pour prévenir les manquements à l'obligation mentionnée à l'article L. 336-3. Ces moyens, une liste en sera établie par l'HADOPI. Et là, on avoue toute notre impatience. Car de ces outils, on ne sait rien. Et pour cause serait-on tenté de dire, car la France innove. Alors quoi ? filtrages d'IP (une liste blanche, une liste noire) ? Blocage de certains protocoles ? Blocages de certains ports ?
Ces dispositifs ne seront d'ailleurs pas nécessairement gratuits ; côté gouvernement, on les voit bien ressembler aux logiciels de contrôles parentaux payants. Alors, un mouchard que vous devrez payer installé sur votre machine, ça vous tente ? Aucune obligation n'est d'ailleurs créé concernant ce domaine. Personne n'a la charge ou l'obligation de proposer ces fameux outils pour toutes les plate-formes - Mac OS, Windows, Linux, Unix, les Plate-forme mobiles etc... - la loi de l'offre et la demande devrait, selon le texte, y pourvoir. Avec 0,9 % de part de marché, les utilisateurs de Linux pourront sans doute attendre un moment.
70 millions d'euros à la charge des FAI et donc des abonnés
Hadopi suppose la mise en place par l’industrie des télécoms de bases de données des connexions des usagers, de procédures et de services dédiés à leur exploitation,
dont le Conseil général des technologies de l’information a évalué le coût à plus de 70 millions d’euros, expliquent les Échos. La facture, au final, incombera aux usagers. Ajouté au fameux mouchard, voilà qui annonce des jours tarifaires heureux pour les accès à l'internet.
Ce que la technique fait, la technique peut le défaire
Le dispositif HADOPI est fou, techniquement irréalisable et passablement dangereux pour les libertés individuelles. Tel un colosse aux pieds d'argile, il repose entièrement sur des questions technologiques en se permettant le luxe de n'en définir aucun contour. Comment seront donc relevés les adresses IP des utilisateurs ? Comment fonctionneront donc les logiciels mouchards ?
En matière de technologie il existe une constante bien plus intangible que la loi de Moore : ce que la technique fait, la technique peut le casser. Qui peut mentionner un seul dispositif de protection ayant résisté durablement ? Qui peut témoigner d'un système en ligne totalement protégé ? Personne.
HADOPI sera un échec. Mais l'échec sera coûteux. Les premiers contentieux, qui devraient arriver d'ici un an, seront riches d'enseignement. De même, les premières solutions techniques devront être scrutées avec attention. Elle seront suivies de manière quasi immédiate par des contre-mesures spécifiques.
C'est un jeu du chat et de la souris, expliquait Steve Jobs qui, comme tout spécialiste, sait qu'il n'existe, en la matière, aucune sécurité durable. Dommage qu'en France, on confie les allumettes aux pyromanes.
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