Apple se sert de la chaîne de production comme d'une arme
Par Arnaud Morel - Publié le
Un épisode illustre bien cette stratégie. Cinq années en arrière, Jonathan Ive, le responsable du design chez Apple, travaille au châssis des nouveaux MacBook Pro, réalisé en aluminium. Il veut intégrer une lumière verte pour signaler l'activité de la caméra (NDR : plus vraisemblablement s'agit-il des LED d'état de batterie), lumière qui ne peut pas, évidemment, traverser l'aluminium. Ive cherche, alors, une solution et trouve une entreprise américaine qui fabrique des lasers pour l'industrie. Après quelques réglages, ces machines peuvent être utilisées pour percer des trous extrêmement fins dans le métal et laisser passer la lumière tout en restant quasi invisible hors activité. Apple propose alors au fabriquant un accord exclusif pour la vente de ces machines, vendues, quand même 250 000 $ pièce. La Pomme, depuis, en a acheté des centaines. Avec un accord comme celui-ci, Apple paie un prix premium - le prix de l'exclusivité - mais se rattrape sur le moyen terme lors de la production en volume tout en s'adjugeantun avantage concurrentiel. Désormais, les petits trous laser sont triviaux dans les produits Apple.
On pourrait multiplier les exemples. Steve Jobs expliquait à Isaacson, l'auteur de la biographie de Steve Jobs que pour le lancement de l'iPhone 4, il avait conduit des recherches pour obtenir le fameux "Gorilla Glass" qui compose l'essentiel de la carcasse de l'appareil. Là aussi, il avait fallu ajuster le processus de fabrication d'un fabricant tiers et acheter l'exclusivité, avant de produire en volume et d'obtenir les meilleurs prix possibles. toujours autour de l'iPhone 4, Apple est réputé avoir acheté tous les écrans Retina disponible et mobilisé la plupart des capacités de production au point d'empêcher HTC d'acheter assez d'écrans pour ses smartphones.
Pour une telle stratégie, Apple dispose d'un atout imparable, son trésor de guerre, supérieur à 80 milliards de dollars. La Pomme va, d'ailleurs, augmenter encore le budget alloué à ces investissements dans des unités de production, porté à 7,1 milliards de dollars cette année, presque le double de l'an passé, tandis que 2,4 milliards de dollars seront affectés au pré-paiement dd e composants clefs.
Travailler avec Apple pour les fournisseurs n'est quand même pas une sinécure. Le gros chiffre d'affaire obtenu l'est au prix d'importantes concessions. Apple exige, par exemple, de connaître l'affection précise des divers postes budgétaires lorsqu'elle négocie le prix du produit. Le fabriquant doit indiquer la part de main d'œuvre, d'investissement, de matériel et même les bénéfices réalisés. Le fabriquant doit, en outre, se plier aux exigences sécuritaires de Cupertino : caméras pour surveiller les sites de production, caméras aux ponts de chargement des colis, anonymisation des colis - Apple a envoyé
au moins une foisdes produits dans des cartons à tomates pour qu'ils passent inaperçus.