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"Cash Investigation" place les constructeurs de smartphones face à leurs responsabilités

Par Didier Pulicani - Publié le

Si vous n'étiez pas devant France 2 hier soir, je vous invite vivement à jeter un oeil au dernier reportage de Cash Investigation, disponible en replay sur cette page.

Le thème de l'émission était assez vaste, puisqu'Elise Lucet et Martin Boudot se sont intéressés aux coulisses de fabrication de nos téléphones mobiles. Puisqu'il faut toujours une pincée de sensationnel pour capter l'attention des téléspectateurs, les journalistes se sont focalisés sur deux points essentiels : les conditions dans lesquels certains matériaux sont extraits et également le travail des enfants.

"Cash Investigation" place les constructeurs de smartphones face à leurs responsabilités


Comme on pouvait s'y attendre, leurs découvertes ne sont pas très glorieuse pour les marques, et leurs beaux discours marketing de sensibilisation sur le sujet. Les usines visitées emploient des jeunes de moins de 16 ans à tour de bras malgré une ligne de défense bien rodée de la direction -qui jure sur l'honneur vérifier les pièces d'identité. On retrouve également de très jeunes travailleurs dans les mines africaines de Tantale, un composant essentiel dans la composition des smartphones. Mais les adultes ne sont pas forcément mieux lotis : malgré la valeur importante des minerais sortis du sol, les extractions se font à ciel ouvert, dans des conditions moyenâgeuses et avec des risques d'éboulement importants pour les travailleurs. Ne parlons même pas des salaires ou des bénéfices pour les villages environnants, qui ne voient pas l'ombre d'une retombée financière de l'exploitation.

"Cash Investigation" place les constructeurs de smartphones face à leurs responsabilités


Le reportage souligne également de gros problèmes environnementaux, notamment dans l'extraction du néodyme que l'on retrouve dans les aimants des téléphones (y compris des iPhone). Les usines situées en Chine génèrent quantité de matériaux toxiques rejetés dans la nappe phréatique et dont se nourrit la population locale, y compris les animaux d'élevage. Les journalistes se retrouvent même suivis par les services secrets chinois (certaines scènes sont assez dingues), obligés de faire diversion pour essayer d'avoir des image ou encore des extraits d'eau polluée aux abords des usines pointées du doigt.

"Cash Investigation" place les constructeurs de smartphones face à leurs responsabilités


Mais le plus drôle -si l'on peut dire- concerne l'attitude des marques lorsque les journalistes leur exposent leurs découvertes. La plupart refusent tout simplement les interviews malgré les relances de France 2, et l'on y voit cette chère Elise Lucet obligée d'aller courir après les PDG de Nokia, Samsung et les autres à la fin des keynotes ou lors des salons sur lesquels ils apparaissent plus librement. Plus étonnant encore, certains grands noms -comme ici Nokia, propriété de Microsoft- mettent clairement en avant -dans les pubs et dans leur stratégie communication- leur respect pour l'écologie et des conditions de travail sur l'ensemble de la chaine de production. Mais face à ces révélations et malgré une volonté de transparence affichée, Nokia refuse catégoriquement de dévoiler la liste de ses fournisseurs ou même de promettre d'enquêter sur les documents mis en lumière. Le message publié par Microsoft France sur sa page Facebook ce matin (suite à l'émission) en constitue d'ailleurs un bel exemple : on répond, mais sans vraiment donner de détails précis, et l'on tente de rassurer ses fans par de jolies pirouettes de langage Martin Boudot a poussé le vice jusqu'à aller alpaguer Bill Gates en personne -qui siège toujours au conseil d'administration de Microsoft- et il faut absolument que vous voyez sa tête, lorsque le journaliste lui pose la question -à laquelle il refusera de répondre, malgré l'image philanthrope qu'il essaie tant bien que mal de véhiculer.

Tous nos camarades journalistes high-tech ont été amusés de voir Elise Lucet s'étonner que Samsung invite des journalistes, tous frais payés (vol, hôtels...) à la conférence de présentation du Galaxy S5. La pratique est pourtant courante (pas que chez Samsung et pas uniquement sur ce secteur), d'autant que tous ces constructeurs fournissent généralement des téléphones à la presse pour leurs tests. Du coup, le reportage sous-entend que les médias spécialisés préfèrent éviter les questions qui fâchent et se contenter de faire la promo des produits. Pour être honnête -je parle surtout pour les médias en ligne ou les petits canards- la plupart n'ont surtout pas les même moyens que France 2 pour mener de telles enquêtes. Cela étant, le reportage montre bien à quel point la communication de ces groupes est verrouillée, et comme il est difficile d'approcher le moindre responsable en dehors des conférences magistrales, que ce soit pour des questions de production ou même tout simplement par rapport aux produits eux-même.

"Cash Investigation" place les constructeurs de smartphones face à leurs responsabilités


Cet épisode de Cash Investigation se termine enfin sur un échange assez étonnant dans le bureau du commissaire européen au commerce, l'homme à l'origine d'un projet permettant de responsabilité les entreprises, notamment sur le problème des minerais de sang. Même s'il est toujours difficile de tirer des conclusions sur un échange inégal de quelques minutes seulement (les journalistes, chiffres à l'appui, profitaient un peu de leur position...), on sera en droit de s'interroger sur l'impact des différents lobbies des grands constructeurs sur la Commission Européenne, qui pourrait pourtant -comme l'ont fait les USA- obliger ces derniers à se fournir chez des partenaires un peu plus cleans sur le respect des conditions de travail et de l'environnement.

Bref, si vous avez deux heures à tuer, ce reportage est assez instructif et -pour une fois- ne tape pas uniquement sur la grande Pomme.

Voir "Les secrets inavouables de nos téléphones portables"