Exclu : Luke Wood, CEO de Beats "Le Studio 3 Wireless est le fruit de notre mariage avec Apple "
Par Didier Pulicani - Publié le
Cet ancien producteur, également membre du board de Fender, le célèbre fabricant de guitares, porte un regard sur la success story de la société, créée à l'initiative de Jimmy Iovine et de Dr. Dre. Il revient sur son intégration au sein d'Apple après son rachat en 2014, analyse l'évolution du marché des casques en plein boum, sans oublier d'évoquer ses projets futurs. Interview !
Propos recueillis par Olivier Frigara
Mac4Ever : Certains aiment à dire que Beats serait plus dirigé par des artistes que par des ingénieurs, à l'instar de vos fondateurs Jimmy Iovine et Dr. Dre ? D'autres affirment que vous ne seriez qu'une entreprise marketing ? Où se situe le curseur ?
Bonne question ! (Rire…). A première vue, on pourrait penser que Beats est le résultat d'un formidable exercice de marketing et de branding. Ce n'est pas faux ! Mais, nous sommes bien plus que cela, nous sommes une vraie
Music Company! Ceux qui ont créé Beats étaient tous issus de studios d'enregistrements. Nous avons pour la plupart débuté comme musicien ou ingénieur du son. Notre souci premier a toujours été d'offrir la meilleure qualité d'écoute. Dans le même temps, notre boulot était également de permettre à nos artistes de sortir du lot, pour devenir des champions, sur un marché qui comptait, il y a encore 25 ans aux Etats-Unis, trois à quatre mille sorties de disques par an. Et pour y parvenir, croyez-moi, cela demandait un vrai savoir-faire marketing ! Bref, le marketing a toujours fait partie du jeu dans l'industrie musicale, car il ne sert à rien de produire les meilleurs artistes, les meilleurs disques, si personne ne les écoute. Aussi, nous avons marketé Beats, exactement comme ont été marketés et produits les albums d'Eminem ou U2, ce sont les mêmes recettes ! J'ai assisté récemment à un concert des Stones à Paris. Je peux vous dire qu'ils sont les champions du marketing. Leur logo est l'un des plus connu au monde ! Pourtant, on ne dit pas des Rolling Stones qu'ils ne font que du Marketing.
Beats avec le premier Beats Studio, il y a déjà 10 ans, a lancé la tendance des casques de rue, conçus bien sûr pour écouter de la musique mais aussi pour être vus. Le casque est-il devenu un accessoire de mode ?
Un casque se doit d'offrir avant tout le meilleur rendu sonore, donc l'audio d'abord ! Je ne pense pas que porter un casque Beats soit pour nos utilisateurs uniquement une manière d'être à la mode. Certes, cela joue, mais c'est plus selon moi, une histoire d'émotion, un rapport plus intime, une manière de dire et d'afficher que l'on aime la musique.
Le design occupe une place majeure au sein de Beats comme chez Apple d'ailleurs. Disposez de votre propre département de design ou préférez-vous collaborer avec les équipes de Jony Ive ?
Non, nous travaillons depuis le début avec un cabinet de design externe à Beats, Ammunition Design Group qui est basé à San Francisco.
Qu'a changé pour beats, le fait d'être racheté par Apple ?
Il y a trois ans, nous avons vendu notre société et nous faisons aujourd'hui partie intégrante d'Apple. Notre rachat nous a ouvert d'énormes opportunités en matière d'innovation et d'engineering. Le studio 3 que nous lançons aujourd'hui est le fruit de ce mariage. Il allie notre souci du meilleur rendu audio possible avec les formidables ressources technologiques d'Apple, à l'instar de la puce W1 qui équipe notre casque. Elle lui confère une grande simplicité d'utilisation et une endurance record. Nous passons d'une autonomie de 12 heures sur l'ancien modèle à 22 heures aujourd'hui.
Vous travaillez donc très étroitement avec Apple, vos équipes ont-elles rejoint Cupertino ?
Nos équipes de développement sont totalement intégrées au sein d'Apple, une partie est à Cupertino et l'autre est basée à Culver City dans le comté de Los Angeles. Mais, faire ou non partie d'Apple ne fait pas de différence aujourd'hui, ce qui nous a permis de pleinement travailler sur la puce W1 et de la déployer facilement aussi bien sur les Airpods, que sur le Beats X, le Solo 3 et aujourd'hui le Studio 3.
Le Studio 3 évolue peu en termes de design par rapport à l'ancien modèle. La greffe de la puce W1 est-elle la seule avancée ?
Nous étions contents de l'ancienne version, de ses haut-parleurs, de sa forme, de son design… Je fais partie du board de Fender, qui est connu pour sa guitare mythique, la Stratocaster dont la philosophie n'a pas changé depuis 1954. Nous voulons faire de même avec le Studio, il est l'un de nos classiques, notre Stratocaster, mais en permanente amélioration. Ainsi, nous avons changé beaucoup de points comme les matières employées, sachant que nous bénéficions des mêmes standards et critères de qualité de fabrication que ceux d'Apple.
Vous avez également amélioré la réduction de bruits ?
Notre système d'annulation de bruits est différent de ceux de nos concurrents. Ils utilisent en général un modèle conçu pour réduire les nuisances sonores des moteurs d'un avion. Celui-ci se base sur une fréquence audio unique, correspondant au son émis par les réacteurs. Notre approche est radicalement différente. Nous avons créé un système de réduction de bruits dynamique. Il analyse en temps réel le niveau sonore, quel que soit son niveau de fréquence, pour optimiser l'annulation des bruits réels qui vous entourent. Nous sommes les seuls à proposer une telle fonctionnalité qui est étroitement lié à la puissance de la puce W1. Pour cela, nous intégrons deux micros externes pour analyser l'environnement sonore. Ainsi, si vous voyagez et que vous sortez de l'avion pour marcher dans l'aéroport, la réduction de bruits va s'adapter à une fréquence sonore différente pour optimiser l'isolation. Nous utilisons enfin un troisième micro implanté au sein des oreillettes pour évaluer la déperdition sonore qui affecte la réduction de bruits. Ce sont des
fuitesqui se produisent car nous sommes tous différents. Nos formes de tête divergent, nous avons plus ou moins de cheveux, certains portent des lunettes, notre crane peut parfois reposer sur un appui-tête, comme c'est souvent le cas lors des voyages en avion… Bilan, les écouteurs ne peuvent pas parfois recouvrir parfaitement les oreilles. Notre système détecte la déperdition et la puce W1 est apte à la corriger.
Cette intégration poussée de la puce W1, cette proximité avec Apple, ne risque-t-elle pas d'effrayer les utilisateurs de téléphones sous Android qui pourraient penser que ce casque est optimisé pour iOS ?
Nous sommes agnostiques (rire) ! La plupart des avancées de notre casque en dehors de l'appairage simplifié, comme la gestion d'énergie et la réduction avancée de bruits fonctionnent parfaitement avec tous les appareils Bluetooth du marché. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, nous avons intégré une prise micro-USB plutôt qu'un port Lightning pour la recharge.
Quel est le niveau d'implication de Dr. Dre et Jimmy Iovin aujourd'hui dans Beats ?
Jimmy est aujourd'hui très pris par le pilotage d'Apple Music. Cependant, même si, il est moins présent au quotidien dans la gestion de Beats Electronics, tout comme Dr. Dre, ils interviennent toujours et jouent un rôle crucial sur le contrôle qualité de nos produits. Sachez que s'ils ne valident pas le rendu de l'un de nos casques, nous ne le sortons pas !
On a reproché à Beats de produire des casques taillés pour de la musique d'un certain genre, plutôt moderne, qui font la part belle aux basses ? Que répondez-vous à ces critiques ?
Lorsque nous avons entamé l'aventure de Beats, il y a déjà dix ans, notre signature était de proposer un casque taillé pour la musique contemporaine, pour transmettre l'émotion que nous pouvions ressentir à son écoute en studio. Car à cette époque, aucun casque ne proposait un rendu comme le nôtre. Ils étaient, pour la plupart, conçus en prenant pour référence, l'album de Jazz Rock américain, Gaucho de Steely Dane qui date de… 1976 ! Notre volonté n'était pas de valoriser un genre particulier de musique ou d'artistes, mais simplement de tenir compte de l'émergence des enregistrements et instruments numériques, synthétiseurs, sub qui ont changé la musique et la manière dont on l'écoute pour toujours. J'insiste, ce n'est pas une question de genre. Jimmy Iovine a produit de nombreux disques de tous les genres, new wave, rock… de Nirvana à Aerosmith… et à son image, nous aimons tous les genres de musique !
Le fait qu'Apple ait abandonné la prise Jack vous a aidé à populariser les casques sans fil Bluetooth ?
Nous croyons au sans-fil depuis longtemps chez Beats et nous proposons des casques Bluetooth depuis 2013. Nous avons poussé très fort pour promouvoir cette gamme. Nous avons été la première marque audio à investir dans une large campagne publicitaire à la télévision autour du sans-fil. Nous avons surtout observé que le regard du grand public changeait au sujet du Bluetooth grâce à leurs expériences en voiture. Ils ont découvert les avantages de cette technologie au volant et cela a vraiment accru sa popularité.
Vous proposez également une enceinte dans votre gamme. Allez-vous continuer sur ce créneau où le laisser à Apple avec le HomePod ?
L'an passé, nous avons commencé à dévoiler notre nouvelle gamme de casques qui sont les premiers fruits du développement que nous avons mené depuis que nous avons rejoint Apple et que nous pouvons tirer bénéfices de ses ressources. J'aime également beaucoup le marché des enceintes et oui, nous allons continuer à investir sur ce marché.
Vous travaillez sur une enceinte multiroom ? La rumeur disait qu'au moment du rachat par Apple, vous travaillez sur un tel projet d'enceinte multi-room, vous confirmez ?
Je ne peux pas vous parler de nos futurs produits, car désormais, comme vous le savez, nous faisons partie d'Apple … (rire).