Infiltré dans une usine d'iPhone, un étudiant raconte son quotidien d'ouvrier chinois
Par Didier Pulicani - Publié le
Dejian Zeng est étudiant à l'université de New York et le jeune homme cherchait en 2016 de quoi s'occuper pendant l'été. Il décide alors de
Dans une interview fleuve (si vous avez une heure à tuer), il raconte ainsi son quotidien sur les chaines de production : alterna de stress et d'ennui, journées à rallonges, management intransigeant, sécurité extrême... mais il confie aussi que les conditions de travail ont beaucoup progressé, d'autant que les salaires ont également été revus à la hausse, tout comme la qualité de vie sur place.
Travailler sur les chaines de production de l'iPhone ne nécessite pas de qualification particulière
En revanche, il y a certains pré-requis, comme la connaissance de l'alphabet anglais
En revanche, certains sont systématiquement écartés des recrutements, à commencer par les femmes enceintes.
Suite aux scandale de ces dernières années autour des travailleurs mineurs, l'usine met désormais un point d'honneur à bien vérifier les identités. S'ils indiquent leur statut, les
En semaine, les ouvriers travaillent beaucoup et manquent de temps de repos
Dans l'usine, les employés peuvent se reposer mais jamais dormir
A midi (ou au milieu de la nuit), la pause dure 50 minutes et l'usine offre une sorte de cantine à bas coût. La nourriture semble assez équilibrée (légumes, viande...) mais pas d'une très grande qualité
Le jeune homme travaillait de nuit, et allait donc se reposer durant la journée. Les dortoirs sont situés assez loin de l'usine, mais des bus sont affrétés pour le transport. Sur place, chaque dortoir est occupée par 7 personnes en moyenne, mais elles ne se croisent pas toujours
Zeng se plaint en fait surtout du manque de temps-libre.
Notre apprenti-ouvrier se réjouit tout de même de la gratuité des soins.
Pegatron n'appartient pas à Apple, même si certains journalistes font volontiers l'amalgame. Il s'agit d'une entreprise chinoise, régie par des règles locales et indépendantes de la compagnie californienne. Pour autant, cette dernière est très présente dans l'usine, même si son nom n'est jamais vraiment évoqué
D'après Zeng, l'image d'Apple est assez différente de celle que l'on connait. Steve Jobs et toute l'histoire entourant la marque ne sont pas vraiment connus là bas.
A leur arrivée, Apple oblige indirectement les employés à télécharger une application qui fournit de nombreux training sur les produits et leur conception.
Et puis, il y a la question de la sécurité.
Autre mesure imposée par Apple, la firme a mis en place des campagnes de sensibilisation et de formation.
Malgré des conditions pas toujours faciles, les employés ne semblent pas être vraiment mécontents de leur job
Malgré tout, les conditions horaires et financières ne sont pas toujours idéales : les semaines de 40H n'existent que sur la papier (comptez plutôt 60) et d'après Zeng, il est quasiment impossible de refuser les heures supplémentaires.
Le salaire moyen tourne autour de 450$ par mois
s'infiltrerpendant six semaines dans une des usines de Pegatron, l'un des principaux sous-traitants d'Apple.
Dans une interview fleuve (si vous avez une heure à tuer), il raconte ainsi son quotidien sur les chaines de production : alterna de stress et d'ennui, journées à rallonges, management intransigeant, sécurité extrême... mais il confie aussi que les conditions de travail ont beaucoup progressé, d'autant que les salaires ont également été revus à la hausse, tout comme la qualité de vie sur place.
Un job "sans qualification" mais sous conditions
Travailler sur les chaines de production de l'iPhone ne nécessite pas de qualification particulière
Ces gens travaillent aussi en tant qu'agent de sécurité, coursier, femmes de ménages...Le recrutement se fait donc assez facilement et Zeng n'a eu aucun mal à rejoindre l'usine.
En revanche, il y a certains pré-requis, comme la connaissance de l'alphabet anglais
Il n'y a que 26 lettres, alors ça va !s'amuse le jeune homme.
On a parfois besoin de l'anglais sur les chaines de montage. Par exemple, mon poste était E26.Pas besoin de parler anglais, donc, mais il faut être en mesure de maitriser les symboles occidentaux.
En revanche, certains sont systématiquement écartés des recrutements, à commencer par les femmes enceintes.
Parfois, ils demandent "Est-ce que quelqu'un est enceinte ?" Mais personne ne lève la main.Les personnes tatouées semblent également systématiquement mises de côté, tout comme celles atteintes du SIDA. Pour le reste des maladies, l'usine vaccine préventivement tous les ouvriers (qui n'ont souvent pas les moyens de le faire en dehors)
Suite aux scandale de ces dernières années autour des travailleurs mineurs, l'usine met désormais un point d'honneur à bien vérifier les identités. S'ils indiquent leur statut, les
étudiantsseraient également refoulés, notamment car ils ne peuvent travailler que quelques mois.
Des "cous de poulets" à midi
En semaine, les ouvriers travaillent beaucoup et manquent de temps de repos
10 minutes toutes les 2H en moyennenote Zeng. Mais durant ces pauses, ils doivent choisir quoi faire : aller au toilettes, boire ou se reposer (les toilettes étant éloignées du lieu de travail, tout le temps de pause y passe).
Dans l'usine, les employés peuvent se reposer mais jamais dormir
S'ils vous voient couchés, ils prennent votre identitéet cela se traduit souvent par des sanctions, comme des retenues d'argent. Il est pourtant difficile de combler l'ennui, y compris sur les chaines de production lorsque l'iPhone 7 a démarré et que tout n'était pas au point
En douze heures, on faisait seulement cinq téléphones. Alors tu attends là et tu n'as rien à faire, tu attends pendant 2H. Parfois, on n'a pas le droit de parler. Vous vous asseyez et vous restez muets, mais vous n'avez rien à faire sauf à attendre le téléphone suivant.
A midi (ou au milieu de la nuit), la pause dure 50 minutes et l'usine offre une sorte de cantine à bas coût. La nourriture semble assez équilibrée (légumes, viande...) mais pas d'une très grande qualité
Le poulet que j'ai eu... Je n'ai jamais vu la poitrine ou la cuisse. C'est toujours le cou ou certaines parties que je ne peux identifier.Les ouvrier ont la possibilité de manger ailleurs, mais les prix sont nettement plus élevés.
Le jeune homme travaillait de nuit, et allait donc se reposer durant la journée. Les dortoirs sont situés assez loin de l'usine, mais des bus sont affrétés pour le transport. Sur place, chaque dortoir est occupée par 7 personnes en moyenne, mais elles ne se croisent pas toujours
On travaille sur des lignes différentes ou à des horaires différents. Les conditions de vie ne paraissent pas incroyables mais Zeng semble s'en satisfaire : les lits sont un peu durs, il y a le WiFi (payant) et l'ensemble est plutôt bien entretenu. En revanche, l'eau n'est pas toujours chaude dans les douches
et il y a parfois des coupures. Certaines familles choisissent d'aller dormir ailleurs, et prennent des appartements près de l'usine, mais les coûts sont nettement plus élevés (tout est alors à leur charge).
Zeng se plaint en fait surtout du manque de temps-libre.
On n'a pas assez de temps pour nous, pour s'occuper des affaires courantes. Certains vont jusqu'à ne pas laver leurs vêtements de travail : on leur fournit un unique ensemble :
Je n'en ai eu qu'un, du coup le week-end, tu dois le laver. Et parfois, les gens ne le lavent pas pendant des semaines. Tu transpires dedans, tu pues beaucoup. Certains sentent vraiment mauvais. Mais vu que tu n'en as qu'un...
Notre apprenti-ouvrier se réjouit tout de même de la gratuité des soins.
Si tu te blesses ou que tu dois aller à l'hôpital, tu es remboursé. [...] si tu te casses une jambe quand tu travailles en bas dans les usines, ils paient pour cela. Et c'est une bonne chose.
Apple, "le client", omniprésent
Pegatron n'appartient pas à Apple, même si certains journalistes font volontiers l'amalgame. Il s'agit d'une entreprise chinoise, régie par des règles locales et indépendantes de la compagnie californienne. Pour autant, cette dernière est très présente dans l'usine, même si son nom n'est jamais vraiment évoqué
Ils disent "Le Client" ou "Le client est là". Des responsables de la marques ont pris l'habitude de parcourir les chaines d'assemblages et les employés sont prévenus pour éviter les écarts de conduite.
D'après Zeng, l'image d'Apple est assez différente de celle que l'on connait. Steve Jobs et toute l'histoire entourant la marque ne sont pas vraiment connus là bas.
Je pense que l'idée générale que les gens se font, c'est qu'Apple vend des tonnes d'iPhone et la plupart d'entre-eux voient ça comme quelque chose de vraiment stylé. Mais c'est tout..
A leur arrivée, Apple oblige indirectement les employés à télécharger une application qui fournit de nombreux training sur les produits et leur conception.
Ils te font peur. Le premier jour, ils disent "Ok, tout le monde a son QR Code. Scannez-le sur l'app. Si vous ne la téléchargez pas, vous ne serez pas réparti sur les chaines demain.
Et puis, il y a la question de la sécurité.
Evidemment, les gens savent qu'ils travaillent sur des produits qui ne sont pas encore sortisaffirme Zeng. Dès lors, les contrôles sont nombreux et même parfois extrêmes
Vous savez, les filles ont des soutien-gorges ? Du coup, elles ne peuvent pas passer le portique car il y a du métal dans les soutifs. Une fois, de nombreuses filles ont du aller se changer car ils avaient augmenté la sensibilité [des détecteurs, ndlr] ce jour là.
Autre mesure imposée par Apple, la firme a mis en place des campagnes de sensibilisation et de formation.
Il y a tout un tas de formations, pour la construction personnelle, les relations, la façon de gérer son argent... tous ces trucs. Mais je me suis rendu compte que ces training étaient imposés par Apple car après, vous deviez réaliser des tests écrits dont les réponses dépendaient des formations.Histoire de faire bonne figure, certaines réponses trop difficiles étaient carrément données aux employés. A la fin, il faut même évaluer la qualité du test, un papier qui ira sans doute directement chez Apple
Ne faites pas de fautes. On a besoin d'un document clair, sans ratures.
Pas de grève en vue
Malgré des conditions pas toujours faciles, les employés ne semblent pas être vraiment mécontents de leur job
Je ne dirais pas qu'on l'aime... ni qu'on le déteste. On considère juste que ce travail peut nous donner de l'argent.Afin de mieux cerner les problèmes, l'usine a mis en place un système de plaintes qui sont apparement remontées à Apple (mais aussi filtrées par Pegatron). Cupertino affirme d'ailleurs avoir mis en place des audits parallèles (et plus direct) afin d'obtenir au mieux les remontées d'informations.
Malgré tout, les conditions horaires et financières ne sont pas toujours idéales : les semaines de 40H n'existent que sur la papier (comptez plutôt 60) et d'après Zeng, il est quasiment impossible de refuser les heures supplémentaires.
Si je demande "Je peux partir ?", on me dit "Tu dois travailler sur les lignes d'assemblage".Durant certaines périodes (avant la sortie de l'iPhone, ndlr), certains employés font jusqu'à 11 jours d'affilée sans week-end.
Le salaire moyen tourne autour de 450$ par mois
pas de quoi s'acheter un iPhoneironise Zeng qui note malgré tout que ce n'est pas si mal payé. Il n'est d'ailleurs pas question de faire grève ou de se syndiquer
Les gens ne pensent qu'à l'argent. Là-bas, il n'y a pas vraiment de culture de lutte ouvrière même si Zeng pensait qu'il allait assister à une grève... qui n'a jamais eu lieu.
Je ne pense pas que les gens voient ça comment une carrière. Le turnover est très élevé. C'est normal pour les travailleurs de partir après 2 semaines ou un mois. Ceux qui n'aiment pas les conditions partent généralement très vite.