iPad Pro 9,7", iPhone SE : des déclinaisons qui cachent un manque d'inspiration (opinion)
Par Didier Pulicani - Publié le
En choisissant le petit
Town Halldu QG d'Apple et non le Moscone Center de San Francisco, le ton était pourtant donné. Pas de grand lancement, mais une concaténation de petites mises à jour logicielles à mi-parcours (iOS, tvOS, watchOS, OS X...) et quelques annonces matérielles sans réelle importance (nouveaux bracelets pour Apple Watch, des coques plus colorées...). Reste que la sortie d'un nouvel iPhone ne pouvait se faire sans un peu de tapage médiatique, chaque keynote étant pour Apple l'occasion de réquisitionner la presse pendant 48H à moindre frais.
iPhone SE : Sans Effort
Autrefois adulé par la communauté pour son audace et ses lignes épurées, il est désormais très courant de voir
Sir Jony Iveraillé sur les réseaux sociaux. Il faut dire qu'en 2015, entre le système de chargement de la Magic Mouse 2, la coque-batterie à bosse ou le pencil qui se branche à l'horizontal sur l'iPad Pro, il y avait de quoi ricaner...
A la fin de la vidéo de présentation de l'iPhone SE, le designer d'Apple répondait aux abonnés absent. Exit le fond blanc et voix posée du Senior Vice President, l'appareil n'a pas eu droit aux louanges de son créateur. Mais avec un boitier vieux de presque 4 ans, auquel on a collé une nouvelle option
rose(histoire de plaire à la clientèle chinoise), on ne voit pas bien ce qu'aurait pu nous raconter Monsieur
Amazingsur les lignes épurées de... 2012.
Alors oui, c'est vrai, sur le papier, l'appareil est une bête de course. Il intègre un processeur A9 -comme sur le 6s-, un capteur photo de 12MP, des capacités d'enregistrement vidéo en 4k et une 4G très rapide. Mais il souffre aussi du
problème de gammed'Apple, qui considère que les appareils munis de petits écrans ne doivent pas pouvoir concurrencer leurs grands frères. Exit donc le très pratique 3D Touch ou même le capteur de 5MP en façade (les selfies se feront à 1,2 MP seulement !). Il n'y aura pas non plus de stabilisation optique, pourtant si efficace pour éviter les tremblements. A 489€, il faudra aussi se contenter de 16Go de stockage (sans option à 128Go), à peine de quoi enregistrer quelques dizaines de minutes en 4k.
Le format de 4" représenterait encore une bonne partie des ventes -30 millions en 2015 sur 230 millions au total. En Chine, la plupart des clients auraient opté pour une petite dalle pour leur premier iPhone, c'est sans doute ce qui a poussé Apple à renouveler à la dernière minute le vieillissant iPhone 5s. En Europe, on croise encore abondamment ces
petitstéléphones mais leur succès s'explique aussi par des tarifs bien en deçà des derniers iPhone 6/6s, et aussi par un marché de l'occasion toujours très actif sur les anciens modèles. Reste que dans notre récent sondage, vous étiez presque 1/3 à estimer que l'iPhone SE proposait la
taille idéalesi chère à Steve Jobs en son temps, preuve que le format utilisable à une main (et qui rentre dans des poches de filles) intéresse encore quelques irréductibles.
L'iPhone SE ne marquera donc pas son époque, en ne proposant aucune fonctionnalité inédite dans un boitier vieillissant. Pourtant, il devrait trouver son public, grâce à un prix d'appel intéressant au regard de l'équipement. Mais que diable ! Quel manque d'audace et d'originalité ! Apple aurait au moins pu lui offrir le design d'un iPhone 6s
mini, ce qui aurait sans doute permis d'augmenter un peu la taille de la batterie (dont on ne connait pas encore la capacité).
iPad Pro 9,5" : le bâtard
Si l'iPad Air 2 reste au catalogue, il sera sans doute le dernier de sa lignée. L'iPad Pro de 9,7", c'est l'iPad Air 3, garni de quelques fonctions empruntées à son devancier de 12,9" sorti fin 2015 et vendu à prix d'or.
Sur le papier, qu'est-ce qui différencie vraiment cet iPad
Prod'un éventuel iPad Air 3 ? L'arrivée de fonctions photos/vidéos améliorées, d'un meilleur système audio, d'un écran moins réfléchissant avec du "True Tone", ou encore un processeur A9X n'auraient choqué personne sur une mise à jour annuelle de l'iPad Air, surtout à de tels niveaux de prix.
Mais l'appellation
Proagit surtout chez Apple surtout comme un levier tarifaire, à défaut de parler d'outils réellement professionnels. On pourrait aujourd'hui faire le parallèle avec le MacBook
ProRetina 13", proposé sans carte graphique, avec un processeur (bi-coeur) de MacBook Air et une dalle moins bien définie que celle l'iPad Pro de 12,9". A l'époque, l'intégration du Retina pouvait encore justifier le terme
professionnel, mais ce n'est plus le cas depuis la présentation du MacBook
Evidemment, la question du stylet est centrale, puisqu'Apple aimerait bien venir marcher sur les platebandes des Wacom et autres Surface Pro. Or comme vous avez pu le voir dans notre dernier reportage, la tablette a encore bien du mal à se positionner dans le flux de production des illustrateurs et des professionnels de la création, qui ne peuvent vivre sans la suite Adobe et leurs outils 2D/3D fétiches.
La positionnement de cet iPad Pro
minise révèle finalement un peu bâtard. Voilà que certaines fonctionnalités -comme le True Tone, le capteur photo, le flash, l'enregistrement 4k stabilisé- arrivent ici en exclusivité, de quoi dégouter un peu plus ceux qui ont craqué pour le grand modèle (plus cher !) il y a quelques mois à peine. A l'inverse, on voit mal les illustrateurs venir dessiner toute une journée durant avec leur Apple Pencil sur un écran de moins de 10", sauf en dépannage. On a également hâte de tester ce smart keyboard riquiqui (à voir à l'usage), déjà que son grand frère -proposé sans trackpad et sans touches d'options- ne nous avait pas réellement convaincus.
Mais l'iPad Pro mériterait réellement son nom s'il était équipé d'un iOS
Pro, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Sur une dalle de 9,7", il est par exemple difficile de venir accoler deux fenêtres comme sur le grand iPad Pro, sauf à faire d'énorme compromis sur l'espace de travail. En attendant qu'Apple intègre des fonctionnalités inédites pour ses tablettes
professionnelles, ces iPad restent d'excellents... iPad. Nul doute que ce nouveau modèle répondra parfaitement à ceux qui attendaient une mise à jour de l'iPad Air 2, mais ils devront quand-même casser leur tirelire pour une simple histoire d'appellation.
La fragmentation, vieux démon d'Apple
Dans les années 80, après le départ de Steve Jobs, les dirigeants avaient perdu leur leader visionnaire qui leur avait néanmoins légué l'un de ses plus beaux bébés : le Mac. Jusqu'aux années 90, l'appareil a finalement très peu évolué. Soucieuse de garder l'entreprise rentable en minimisant les risques, les équipes de l'époque l'ont décliné pendant presque 5 ans sans toucher au fondamentaux : Mac 512K, SE, SE/30, Classic... bien malin celui qui pourra -sans ses notes- différencier réellement toutes ces machines. A son grand retour en 1996/1997, la première décision de Jobs a été de faire le grand ménage et de supprimer une bonne partie des produits pour rationaliser la gamme et la rendre plus lisible.
Il serait bien imprudent de faire le parallèle entre ces deux époques, mais on ne peut le nier, il y a comme une inflation de modèles, dont les noms se perdent totalement. La gamme iPad reflète parfaitement la problématique : à ce jour, 5 modèles différents sont en vente sur le Store ! Et bonjour la logique : iPad mini 2 et iPad mini 4 cohabitent tant bien que mal, alors que l'iPad Air 2 semble bien seul sur son segment, pourtant mis à jour avec le
Prode 9,7". Qu'il va être difficile d'expliquer tout cela à sa clientèle en boutique...
Côté iPhone, il y a également de quoi être un peu noyé. On se demande bien où est-ce qu'Apple est allée chercher ce nom bâtard d'iPhone
SE. Est-ce qu'en 2017, nous auront droit à un iPhone SE 2 dans un boitier d'iPhone 6 ? Et pour revendre l'appareil, bonjour l'angoisse. Visuellement, à moins d'être un fervent connaisseur, il devient impossible de différencier un iPhone SE d'un modèle 5 ou 5S, alors que sous le capot, c'est le jour et la nuit.
Bien malin saurait imaginer ce que ferait Steve Jobs devant une gamme aussi éparpillée et qui manque autant de clarté. Le désir de
contenter tout le mondepar des déclinaisons alambiquées de tous les produits a certainement un intérêt (qui a dit facilité ?) commercial, surtout dans une période où la croissance fait défaut. Mais elle cache surtout un manque profond d'inspiration, celle-là même qui parvient à faire rêver de temps à autres les clients fidèles de la marque.