Comprendre la position d'Apple sur le libre
Par Mathieu Godart - Publié le
Mais pourquoi dit-il ça ?
Avant tout, voici le mail que j'ai reçu de ce fameux lecteur :
« X11, Fink, logiciels Open Source, etc. Tout ça me semblait beau, bon, pas cher ! En fait, il manque deux pas à cette dernière phrase : pas beau, pas bon, pas cher. Après avoir passé la semaine à lire sur comment installer, d'une part, puis sur comment ça marche, d'autre part, j'en viens à la conclusion que j'ai perdu mon temps ! AbiWord ne sauvegarde qu'en RTF et encore, c'est quand vous réussissez à sauvegarder.
Gimp n'ouvre les fichiers JPEG que si vous avez eu la chance, comme moi, de tomber sur un site qui dit d'ajouter une ligne de commande à X11 afin que Gimp soit capable d'ouvrir les dits JPEG. Rien, niet, dans leur Read Me là-dessus, ni sur leur site Web. Bravo. Et là, j'ai même plus envie d'essayer OpenOffice... J'abandonne. Les petits bidouilleurs ne seront toujours que des petits bidouilleurs. C'est comme ça, c'est la vie.
En bref, cette communauté Open Source ne sert qu'à 2 choses :
- donner le moyen (et l'illusion...) à de pauvres gens d'utiliser des logiciels de type courant gratuitement (mais sans pouvoir les partager avec grand-monde...)
- se faire piquer leurs bonnes idées par les plus gros (Apple et compagnie). Merci beaucoup iPappy we love Open Source.
El Claudio
Un lecteur assidu. »
Quelques jours plus tard il ajoute, dans un autre mail :
« Pour rajouter à mes péripéties avec l'OpenSource : j'ai aussi testé un client de type Hotline, GtkHx, il plante tout le temps. Un ami me dit que j'ai probablement un conflit de ma librairie GTK ? Je ne sais pas du tout comment je peux résoudre ce peut-être problème, ni même le vérifier. J'ai aussi, finalement, installé OpenOffice après un très long téléchargement. À première vue, il me semble beaucoup plus évolué que AbiWord ou que kOffice (KDE).
La difficulté première vient surtout du manque de tutoriaux adéquats. On sent dans la communauté OpenSource que l'on s'adresse à des amateurs professionnels, si je puis dire. Un ami m'a dit qu'un bon programmeur donnait des bonnes explications dans son Read Me, les autres laissent le plaisir aux utilisateurs... [...] À moins d'avoir un bon réseau d'amis bidouilleurs, c'est presque le néant ou l'incompréhension devant ces ligne de codes ésotériques à peine esquissées.
Je pense toujours par contre, que les gros comme Apple, se servent des programmeurs du monde de l'OpenSource pour leur piquer leurs idées, par exemple Safari. Je ne serais pas surpris de voir la prochaine suite bureautique de Apple s'inspirer fortement d'OpenOffice, entre autres. L'entraide, c'est bien, mais quand y en a un qui fait du fric et pas l'autre...?
En espérant avoir été utile..."
Très franchement, quand j'ai commencé à lire ces mails, j'étais un peu énervé. Étant moi-même un fervent défenseur de l'esprit libre, je ne pensais pas que l'on puisse penser du mal des initiatives libres ou OpenSource.
Mais en poursuivant ma lecture, je me suis rendu compte que cette philosophie du libre pouvait prêter à confusion et qu'elle tendait pas mal de pièges aux non-initiés.
Les pièges de l'OpenSource ?
L'idée directrice de l'OpenSource et du libre
Le libre et l'OpenSource sont deux choses légèrement différentes. Toutes deux sont des philosophies de distribution de logiciels. L'idée principale en est que le programmeur fournit le code source de son application. Cela vous permet, si vous êtes développeur vous-même, de vérifier que le programme a été écrit correctement, qu'il ne cache rien, qu'il n'attaque pas votre machine ou vos fichiers. Mais cela peut permettre également de réutiliser tout ou partie du code source. Et c'est là que logiciel libre et OpenSource diffèrent.
Là où le logiciel libre vous permet de réutiliser le code source de l'application pour en faire à peu près tout ce que vous voulez (attention, cela peut dépendre du type de licence sous lequel le logiciel est distribué, pour plus de détails, visitez le site de Richard M. Stallman : GNU, le père du logiciel libre), l'OpenSource est un peu plus restrictif.
On peut gagner de l'argent avec le libre
Les logiciels libres ou OpenSource ne sont pas forcément gratuits. Il arrive qu'il vous faille payer pour pouvoir l'utiliser ; mais c'est assez rare. Quelques sociétés utilisent des technologies libres ou OpenSource, ajoutent leur savoir faire et vendent les produits améliorés. D'autres compilent simplement le code source pour une plate-forme particulière et vendent le ou les logiciels rassemblés avec tout ce qu'il faut pour le faire fonctionner.
Le noyau Linux et les outils GNU qui l'accompagnent sont libres, mais beaucoup de distributions sont payantes. C'est un des moyen qu'on trouvé les sociétés distributrices pour rentabiliser leurs activités Linux. L'autre moyen est de faire payer le service. C'est à dire l'assistance technique, l'aide à l'installation, etc.
Tout n'est pas prêt, ni simple
La plupart des projets libres ou OpenSource sont en développement et ne sont pas terminés. Ses concepteurs travaillent plus à ses fonctions propres qu'à sa simplicité d'utilisation, à son interface utilisateur, etc.
D'autre part, un système d'installation répandu sous Linux consiste à compiler l'application que l'on désire utiliser. Ce concept a plusieurs origines. Il vient, entre autre, du fait que de nombreuses versions de Linux existent et qu'il est préférable de compiler une version pour votre distribution de Linux ; d'autre part, la compilation de certains programmes permet de modifier très tôt ses options - vous allégez ainsi votre logiciel des fonctions que vous n'utiliserez pas.
Que ce soit clair : sur Mac, nous n'avons pas l'habitude de ce genre de manipulations. Les logiciels nous arrivent toujours complets, compilés et simples à installer. Si vous n'êtes pas développeur ou bidouilleur éclairé, ne tentez pas de compiler des sources de programmes libres ou OpenSource. Pas tellement pour des questions de sécurité - il n'y a pas de grands risques là dedans, - mais plutôt car vous échouerez probablement et vous y perdrez inutilement du temps. D'ailleurs, GCC, le compilateur qui vous permetrait de compiler n'est pas installé en standard avec Mac OS X.
Beaucoup de technologies OpenSource ou libres sont assez complexes et spécialisées (cf. paragraphe suivant). Les efforts pour les rendre simples ne sont pas suffisants pour qu'ils touchent tous les utilisateurs.
D'autre part, certains de ces programmes ou technologies ont besoin d'être quelque peu retouchés pour être vraiment intéressantes sous Mac OS X. Par exemple, certains logiciels ont besoin de X11 pour afficher des fenêtres et leur contenu - au détriment d'Aqua. Mais quel intérêt d'avoir une couche graphique telle qu'Aqua si vos logiciels ne l'utilisent pas ? Il est très dommage de passer par un environnement du genre de X11 parce qu'il fait perdre beaucoup du plaisir et de l'intérêt de l'Unix d'Apple.
Malgré cela, de nombreux logiciels libres sont fournis sous une forme adaptée pour le Mac. Ils sont pré-compilés, regroupés dans un package pour Mac OS X, leur interface a été re-développée pour Aqua. Je pense à des logiciels comme VideoLAN Media Player qui est multi-plate-forme, mais qui a une interface écrite en Cocoa et orienté Mac OS X ; à la librairie de développement de jeu SDL qui s'installe grâce à un package sous Mac OS X, alors qu'elle nous vient du monde Linux, etc. Bref, n'utilisez que les softs fait pour Mac OS X. Libre ou pas, ne change pas le fait qu'un logiciel doit-être adapté au système sur lequel il est porté.
Tout le monde y gagne beaucoup !
Tout ce qu'Apple prend...
Cependant, même si certaines technologies ne sont pas abouties ou ne sont pas matures pour une utilisation par le plus grand nombre, elles peuvent avoir un rôle essentiel dans le système ou dans les outils qui l'entourent. Il y a même des projets OpenSource qui ne sont pas dédiés à être utilisés par les non-initiés ou les non-développeurs.
Malgré cela, il reste que ces technologies sont indispensables pour la pérénité de Mac OS X. Prennez, par exemple, le système Darwin (base de Mac OS X), il a été développé à partir de pièces OpenSource ou libres, à partir du travail de la communauté du libre. Le compilateur GCC qui est utilisé pour compiler Mac OS X nous vient de GNU, l'association qui a créé le libre. CVS, un outil indispensable de développement en groupe, existait initialement sous Linux; il est maintenant interfacé avec ProjectBuilder. Samba est utilisé par le Finder pour accéder aux disque partagés des PC.
Mais ces technologies ne pouvaient pas arriver sans le travail de la communauté de développeurs libres. La tâche est bien trop grande pour les seules équipes d'Apple. Le compilateur GCC est utilisé depuis des années sur des dizaines de plates-formes, il a été optimisé, débogué, amélioré par des centaines de personnes depuis des années. Apple, même en deux ou trois ans, n'aurait pas réussi à produire un tel programme. Et ce n'est pas le seul, le X11 d'Apple se base sur l'implémentation du standard XWindow nommé XFree86, robuste et fiable ; CVS a été simplement re-compilé - à peine modifié - pour Mac OS X, économisant bien du travail aux ingénieurs d'Apple ; de même pour Apache. Et bien d'autres "grosses pièces" sont arrivés par le même chemin.
Le libre et l'OpenSource permettent de réutiliser des outils et des technologies déjà existantes - évitant ainsi de réinventer le fil à couper le beurre à chaque nouveau système - mais celà ne peut-il pas être considéré comme du pillage de leurs idées et de leur travail ?
... Elle le rend par ailleurs
Malgré la disponibilité du code source, pour ceux qui veulent faire de l'argent, il y a tout de même beaucoup de moyens d'y parvenir, comme nous l'avons montré un peu plus haut... Par exemple, vendre du support technique ou les améliorations de leurs programmes.
Mais ce qu'il ne faut pas perdre de vue dans notre cheminement c'est que, pour la communauté dont nous parlons, l'aspect philosophique de la chose est bien plus importante que l'aspect financier. Ainsi, préfèront-ils, pour l'ensemble, que celui qui exploite l'OpenSource ou le libre contribue, d'une manière ou d'une autre, à ces modèles de développement. La meilleure chose qu'Apple pouvait faire pour aller dans ce sens était de donner aussi.
Dans cette optique, à chaque fois qu'Apple utilise une technologie OpenSource ou libre, elle met le produit - ou une partie du produit, le moteur de rendu de Safari, le noyau de Mac OS X - sous licence libre Apple. Cette licence est - à peu de choses près - une licence libre. Je pourrais vous citer Darwin ou encore le moteur de rendu de pages web, KHTML, etc. Mais Apple améliore et contribue au développement de programmes libres qui ne lui appartiennent pas. Les ingénieurs de Cupertino ont beaucoup fait pour GCC, GDB, KHTML, etc. Ces technologies lui sont très utiles, et ce qu'elle leur ajoute, elle en fait profiter toute la communauté des développeurs. Dans certains cas, Apple distribue même certains produits sous licences libre, sans s'être basé sur du libre pour le démarrer. Rendezvous en est le meilleur exemple (cf. un peu plus bas).
Il est vrai qu'elle donne aussi dans un double but : "récompenser" et apporter sa pierre à l'édifice du libre, mais également tirer encore plus de bénéfices de la communauté des développeurs. Si le code est disponible, tout le monde peut travailler dessus. C'est en donnant le code source de Darwin en pâture aux développeurs qu'Apple a pu y corriger de "nombreux" bogues.
Enfin, le libre est le meilleur moyen de faire naître un standard. Je fais allusion, encore une fois, à Rendezvous. Le mieux, pour un standard, c'est qu'il soit basé sur le libre car cela permet à tout le monde de comprendre son fonctionnement, de l'implémenter, de le réutiliser simplement. Pour cela, la transparence des sources est indispensable. Avec un bon standard, c'est le meilleur logiciel qui s'impose et pas celui qui a la plus grande base d'utilisateurs, cela motive grandement les avancées technologiques. Complètement l'inverse du format ".doc" de Microsoft qui n'est un standard que parce que les gens utilisent Word. Personne ne peut facilement faire de logiciel capable lire ce format car il n'est pas documenté et change perpétuellement. Si les développeurs peuvent facilement comprendre et maîtriser Rendezvous - à l'aide des sources libres d'Apple, - la technologie n'en sera que plus facilement adoptée. Ajoutez à cela l'image d'Apple, et c'est gagné !
Une petite conclusion
J'espère qu'après avoir lu ces quelques informations sur l'OpenSource, le libre et la politique d'Apple vis à vis de ces moyens de distributions, vous aurez mieux cerné l'intérêt de cette communauté - à laquelle nous devons beaucoup, - et ce que les deux mondes ont à gagner dans cette aventure commune.