C’est une décision hautement symbolique : Criteo quitte la France. Le champion national de la publicité numérique, né à Paris en 2005, vient d'annoncer le transfert de son siège social vers le Luxembourg, première étape d’une migration plus large vers les États-Unis. Si le but est se rapprocher du Nasdaq et du cœur du capitalisme technologique mondial, cette décision cache un autre malaise ?
UN DÉPART STRATÉGIQUE
Les résultats sont souvent le moment idéal pour annoncer des nouvelles qui fâchent ! Officiellement, Criteo assure qu’il ne s’agit pas d’un exil mais — plus joliment tourné — d’une évolution naturelle de son modèle. La société, déjà cotée à New York depuis 2013, souhaite transformer ses actions déposées (ADS) en titres ordinaires pour faciliter son intégration dans les grands indices américains — une condition essentielle pour séduire les fonds d’investissement passifs, toujours plus influents à Wall Street.
Il n'empêche que le choix du Luxembourg n’est pas anodin. Le Grand-Duché offre un cadre juridique permettant les fusions transatlantiques, ce que la France ne permet pas. En pratique, cette transition pourrait aussi simplifier une éventuelle acquisition par un acteur américain.
Contrer la révolution IA
Criteo promet que ses activités en France ne bougeront pas : le siège opérationnel, le laboratoire d’IA et les équipes de R&D parisiennes resteront en place. Mais la décision est lourde. En se détachant juridiquement de la France, l’un des derniers fleurons cotés de la French Tech renonce tout de même à son ancrage national.
Sur le fond, Criteo a déjà profondément changé. L’entreprise n’est plus le champion du retargeting publicitaire par cookies, mais un acteur majeur du retail media, ce secteur qui connecte la publicité à l’e-commerce. Sa transformation vers l’IA générative et la publicité contextuelle lui ouvre de nouveaux marchés… mais exige aussi des capitaux massifs et un ancrage global. Dans ce contexte, l’Europe — et la France en particulier — peine à rivaliser avec la profondeur financière et la rapidité d’exécution des États-Unis.
ET LA SUITE ?
Pour beaucoup, c’est le signe d’un écosystème français encore trop rigide : fiscalité complexe, droit des sociétés peu agile, lenteurs administratives. Quand une licorne aussi mature que Criteo préfère la flexibilité luxembourgeoise, c’est tout un signal envoyé aux start-ups et investisseurs.
Le départ de Criteo ne signifie pas un désaveu total, mais une démonstration des limites du modèle français. Trop souvent, les champions nationaux grandissent ici avant de s’en aller ailleurs pour respirer.
Criteo n’est pas juste une start-up en fuite, mais le signe d'un problème sous-jacent. Dans cette histoire, il reste un goût amer : celui d’une France qui forme, finance, incube — mais qui, une fois le succès venu, regarde partir ses talents et ses sièges. Et si cette décision rationnelle de Criteo sonnait comme un avertissement vis-à-vis d'un pays qui célèbre la French Tech… mais ne la retient plus vraiment.