AppleTV, lettre ouverte à Apple
Par Didier Pulicani - Publié le
Un refus complet du DivX
Lorsqu’Apple a lancé son tout premier iPod, à l’époque, iTunes Store n’existait pas. Le modèle économique reposait donc essentiellement sur le fait que les particuliers encodaient leur musique en MP3, mais ne possédaient alors aucun appareil capable de stocker la musique, et encore moins de l’écouter. Autre paramètre, les années 2000 ont vu les réseaux de partage exploser et le piratage a contribué, bien malgré les Majors, à remplir des disques durs entiers. Les mélomanes se sont alors retrouvés avec des gigaoctets de données sonores et l’iPod est venu logiquement combler le manque.
En matière de vidéo, les problématiques sont quasi similaires. Les particuliers continuent d’acheter et de louer des DVD, tout en encodant les films des copains et de la famille sur leur ordinateur. Et puis vient évidemment le piratage, et les réseaux de partage de données, qui restent assez difficilement quantifiables, mais représentent certainement une part importante des films en circulation. La multiplication des platines de salon certifiées DivX ne fait que confirmer la tendance, et le « format du pirate » par excellence finit par envahir le marché global. Il existe donc une forte demande à ce niveau, plus ou moins remplie par les constructeurs habituels.
Chez Apple, l’accueil réservé au DivX n’a pas été le même que pour le MP3. La Pomme a déjà mis un certain temps avait de « corriger » QuickTime afin qu’il soit capable de décoder les fameux fichiers « avi » via des extensions tierces. A présent, le codec n’est d’ailleurs toujours pas inclus par défaut dans Leopard et doit être installé en annexe. Pire, à part le Mac, aucun des appareils supportant la vidéo ne peut lire du DivX : iPod, AppleTV ou encore iPhone sont cantonnés à un nombre limité de formats. Sur l’iPod et l’iPhone, les conséquences sont assez limitées, car c’est l’audio qui prédomine. Mais pour un périphérique comme AppleTV, ne pas autoriser le DivX apparait comme un non-sens. Pourquoi, dans ce cas, ne pas enlever le support du MP3 dans l’iPod ?
Le problème du piratage ne semble toutefois pas être la principale raison de ce non-support. De manière générale, iPapy a décidé de ne supporter aucun autre format, que ce soit Windows Media, RealPlayer ou encore tous les formats comme 3ivX, Flash ou Xvid, couramment utilisés sur internet. Ces formats ne sont pas non plus supportés dans iTunes, qui sert –petit rappel - de fournisseur de contenus pour AppleTV.
Pas de fonctions d’enregistrement ni de lecteur Blu-Ray
Autre point sensible, lorsqu’on parle de télévision et de vidéo numérique, difficile de ne pas évoquer l’enregistrement ! Pourtant, chez Apple, on ne connait pas ce mot.
Absence d’entrée analogique et numérique, la messe est dite : l’AppleTV ne sera pas un magnétoscope numérique. C’est d’autant plus étonnant qu’il est possible de lui mettre un disque dur de bonne taille, capable de stocker des dizaines d’heures de films. A l’heure de la TNT, il aurait été enfantin de développer un petit décodeur MPEG2, accompagné d’un logiciel prenant en charge la gestion des programmes et des enregistrements, comme le fait EyeTV, par exemple. Apple étant un petit génie des interfaces, on aurait même pu imaginer de pouvoir programmer ses émissions avec la seule petite télécommande.
Mais tout n'est pas perdu : à l'heure où cet article est publié, Apple vient de publier un brevet décrivant justement des fonctions facilitées d'enregistrement. Mais ceci exigeant une nouvelle version hardware de la bête, ce n'est certainement pas pour tout de suite !
Côté lecteur optique, même combat : Apple ne fournit aucun lecteur de DVD dans son boitier ! Il est même très étonnant que la Pomme n’ait pas réussi à se motiver pour se lancer dans le blu-ray. Mais le HD-DVD n’étant pas encore enterré à l’époque du lancement, il fallait sans doute alors jouer la carte de la prudence.
Seule solution, donc, pour lire ses films avec le boitier d’Apple : ripper le DVD en MPEG4 et l’importer via iTunes. Allez expliquer cela au père de famille, qui ira plutôt acheter son petit lecteur de salon à 50 Euros, qui prend d’ailleurs en charge les fichiers DivX, lui.
Aucun programme d’extension
Face à la relative maigreur de l’offre logicielle d’Apple, on aurait pu penser que la Pomme allait sortir une sorte de SDK pour l’AppleTV, sachant que la bête n’est finalement qu’un Mac un peu « tunné ». N’importe quel développeur aurait ainsi pu proposer ses programmes, dont la seule contrainte aurait été de n’avoir à utiliser que la petite télécommande fournie.
Plus simple, Cupertino aurait également pu mettre en place des plug-ins sur son logiciel principal. Que ce soit pour supporter d’autres formats, ou par exemple, pour se connecter à d’autres plateformes (comme DailyMotion), la communauté des développeurs est suffisamment fournie pour que les composants les plus intéressants soient rapidement développés. Mieux, pourquoi ne pas avoir carrément lancé un AppStore, comme c’est prévu pour l’iPhone ?
Un model économique discutable
L’AppleTV repose aujourd’hui sur un modèle unique de rentabilité : iTunes Store. Outre l’aspect audio, peu intéressant du côté de la télévision, la boutique en ligne propose des films à la vente et à la location. Là encore, sur le papier, l’offre est tentante, et l'on n'est plus obligé d'arpenter les boutique de DVD neufs ou les videoclubs pour regarder un film.
Mais dans la réalité, tout est loin d’être parfait. Si l’on met de côté les titres de Disney, l’offre est plutôt anémique, pour l’instant. Pire, hors des USA, le choix est limité à quelques grosses sorties. Ne parlons même pas des séries américaines, c’est encore plus rapide de les regarder sur TF1 !
Le problème qui se pose, vous l’aurez compris, est directement lié à l’offre. Alors que la plate-forme met du temps à se mettre en place, la petite boite à la Pomme ne propose pas d’alternative à sa relative maigreur. Et ce ne sont pas les diaporamas-photos de l’oncle Robert ou les vidéos de vacances de votre belle-maman qui occuperont vos soirées, qu’on se le dise !
Une connectique limitée
L’AppleTV est une sorte de mix entre le Mac et le terminal : il possède une bonne puissance de calcul et de stockage, mais a besoin des ordinateurs de la maison pour être alimenté. Malgré cela, sa connectique est pratiquement aussi réduite que celle du MacBook Air ! Impossible de rajouter un clavier (pour aller sur internet), une manette de jeu (pour se faire un p’tit CollinMcRay !) ou tout autre périphérique vidéo/photo. Apple n’a pas voulu s’écarter du segment pour lequel le boitier a été créé, et ceci est tout à fait justifiable. Mais pourquoi diable ne pas proposer des entrées/sorties analogiques, pour récupérer des vieux films d’un caméscope, par exemple ? Pourquoi priver les télévisions non YUV (component), qui représentent à ce jour un parc relativement important ? Pourquoi aucun prise antenne ni de tuner TNT ?
Pour Apple, simplicité rime forcément avec minimalisme, sur les produits grand public.
Une concurrence des Box et des VCR
Suivant les pays, l’AppleTV est souvent confronté aux problèmes des « Box ». Que ce soit le TiVo aux USA ou les Box en France, le problème reste entier : pourquoi aller investir dans un AppleTV alors qu’une FreeBox lit tous les formats de VLC, est capable de parcourir votre disque, et évidemment, possède toutes les fonctions possibles de magnétoscope numérique. Et côté offres, la vidéo à la demande commence à battre son plein, du moins en France et aux USA.
L’attrait de la solution d’Apple en prend alors pour son grade et ne propose que peu de valeur ajoutée.
Un Mac mini bien plus efficace
Un dernier point concerne le Mac mini. Si je vous parle de DivX, de sortie DVI, de port FireWire, de jeux (en restant humble), de TNT et de programmes d’enregistrements vidéos ou encore de surf sur internet… Vous suivez mon regard ? Et oui ! Pour quelques centaines d’euros de plus, l’autre petite boite d’Apple se place pile sur le segment de l’AppleTV. Mieux, il l’englobe, car avec FrontRow, on a accès à toute la bibliothèque audio et vidés de la maison. Et la télécommande est la même !
Alors forcément, dans le bureau de Steve, on ne comprend pas bien. D’un côté, un produit très « geek » qui vient cannibaliser les ventes d’un autre produit, bien plus grand public. La première réaction d’Apple demeure étonnante : laisser le Mac mini de côté et attendre. Bonne ou pas, cette solution ne semble pas porter ses fruits. Pire, elle pourrait pousser Cupertino à arrêter ce petit Mac d’entrée de gamme, qui se retrouve de plus en plus délaissé par les acheteurs, compte tenu de ses mises à jour anémiques.
Une touche d'espoir ?
Que conclure concernant l’AppleTV ? Qu’Apple s’est trompé de cible ? Peut-être. Qu’Apple est arrivé trop tard ? Sans doute. Que le produit n'a finalement que trop peu de valeur ajoutée ? Certainement.
Les prochaines semaines nous diront si AppleTV « Take2 » (2ième chance) aura pris son envol… ou bien le large. Mais pour l’instant, on ne voit rien décoller chez les vendeurs. Et la nouvelle interface, tant vantée par Steve durant son keynote, ne propose pas grand-chose de neuf en termes d’extensivité et de l’aspect quantitatif des contenus.
Pourtant, après un succès aussi imposant dans le monde de l'audio, on imagine mal Steve Jobs mettre de côté la boi-boite. Les plus optimistes y voient déjà un AppleTV3, dans une nouvelle coque bien plus fournie (d'autant que les brevets circulent). Mais pour convaincre, il en faudra plus, bien plus.